John Maclean, un grand révolutionnaire écossais

La chronique de Jean-Marie Meilland • Parmi les quatre rares personnes nommément invitées au congrès inaugural de la Troisième Internationale en 1919 à Moscou se trouvait un révolutionnaire écossais, John Maclean

John MacLean en photo sur son passeport. (PD)

«Nous nous battons pour la vie et pour tout ce que la vie peut nous donner» John Maclean

Parmi les quatre rares personnes nommément invitées au congrès inaugural de la Troisième Internationale en 1919 à Moscou se trouvait un révolutionnaire écossais, John Maclean. Mais alors qu’on se réfère souvent à Rosa Luxembourg ou Antonio Gramsci, le nom de John Maclean est aujourd’hui presque oublié hors d’Ecosse (où même le SNP interclassiste fait son éloge!) (1). Je voudrais évoquer ce grand socialiste, qui fut une figure clé, vénérée de la classe ouvrière, dans le Clydeside (région de Glasgow) où il se trouva des années durant au coeur de tous les combats pour l’égalité et la paix.

John Maclean naquit en 1879. Ses parents venaient de l’Ouest rural et gaélophone de l’Ecosse et comme nombre des leurs ils s’étaient établis à Glasgow pour y trouver du travail. L’action de Maclean n’est pas compréhensible si l’on ne se rappelle pas la réalité de Glasgow en 1900: une cité d’un million d’habitants, aux inégalités criantes, la deuxième ville de l’Empire britannique, une économie industrielle extraordinairement développée produisant, dans d’immenses usines, le quart des locomotives du monde et pour les bateaux le cinquième du tonnage mondial, une cité entourée des zones minières.

Maclean devint d’abord instituteur dans une école primaire de la grande ville. Il commença à s’intéresser au socialisme en passant ses dimanches dans un cercle de discussion, puis adhéra au BSP (British Socialist Party), héritier de la SDF (Social Democratic Federation), le plus ancien parti marxiste de Grande-Bretagne dont Eleanor Marx fut membre, et auquel il resta fidèle pendant vingt ans malgré des divergences avec sa direction. Il participa avec ferveur à la radicalisation du mouvement ouvrier de la région de Glasgow juste avant la Première Guerre mondiale.

Maclean avait bien choisi sa profession. Il était un éducateur né et dès le début de sa carrière politique un de ses grands soucis fut de mettre en place des cours de marxisme pour expliquer aux ouvriers le fonctionnement du système qu’ils subissaient. Il organisa des cours d’économie, ainsi que le Labour College for Scotland, qui furent fréquentés pendant des années par des dizaines de milliers de travailleurs. Il affirmait à ses auditeurs: «Je veux que vous rentriez chez vous et lisiez les œuvres de Karl Marx… ce dont nous avons besoin aujourd’hui dans ce pays c’est d’une classe ouvrière éduquée. Le millenium, s’il doit arriver, doit arriver à partir d’une classe ouvrière éduquée» (2).

Il devint aussi un orateur remarquable et apprécié de foules venant l’écouter lors de grèves, de meetings ou pour le Premier Mai. Cette éloquence il allait l’exercer jusqu’à la fin de sa vie, alors qu’il écrivait aussi des articles et des pamphlets.

Lorsque la Première guerre mondiale éclata et qu’un climat nationaliste belliciste s’installa, Maclean fut l’un des dirigeants socialistes qui, comme Lénine, s’opposèrent à la guerre. De cette guerre voici ce qu’il disait: «C’est notre tâche comme socialistes de développer un «patriotisme de classe», refuser de nous tuer les uns les autres pour un capitalisme mondial sordide. L’absurdité de la situation présente apparaît clairement quand on voit des socialistes britanniques partir pour tuer des socialistes allemands avec l’objectif d’écraser le kaisérisme et le militarisme prussien…».

En temps de guerre, le pacifisme est considéré comme une trahison et les lois réprimant l’opposition à la guerre n’épargnèrent pas Maclean. Il passa au total presque trois ans en prison, notamment après sa condamnation aux travaux forcés en 1916-1917, avec des périodes de grève de la faim. Sans rien changer à sa détermination, ces temps de captivité amenèrent une sérieuse dégradation de sa santé.

Il soutint avec enthousiasme la révolution russe, et Lénine le nomma consul du nouvel Etat ouvrier à Glasgow. Il partageait avec les bolchéviques la synthèse entre l’hostilité à la guerre et la révolution qu’il prévoyait pour bientôt en Grande-Bretagne. Il déclarait: «Je veux la paix, mais ce doit être une paix avec en elle la révolution». Il ne put cependant visiter l’Etat soviétique, le gouvernement britannique refusant de lui accorder un passeport.

Une des raisons du relatif oubli dans lequel Maclean se trouve aujourd’hui est sans doute liée à ses graves démêlés avec le nouveau Parti communiste britannique (CPGB), dont son parti, le BSP, devint l’un des éléments constitutifs et dont, étant donné son influence et sa réputation, il aurait pu devenir le premier dirigeant.

Croyant à l’imminence de la révolution en Grande-Bretagne, le leader de Glasgow désapprouva la ligne stratégique relativement modérée, recommandée par Moscou, de force d’appoint de gauche au Labour que les communistes avaient adoptée (il écrivit d’ailleurs à Lénine pour défendre son point de vue). Pendant les dernières années de sa vie, il ne diminua en rien ses activités d’apôtre de la révolution en Ecosse et en Angleterre à travers de nouvelles organisations qu’il créa mais qui n’obtinrent pas le succès escompté. Du fait de l’importance qu’il accordait à l’Ecosse comme force déclenchante de la révolution britannique, étant donné la combativité de la région de Glasgow, il fut parmi les premiers à défendre l’indépendance écossaise.

Précocement usé par ses activités infatigables, par ses séjours en prison et par la pauvreté, Maclean mourut soudainement pendant une campagne électorale, en 1923, à l’âge de seulement 44 ans.

Ainsi, Maclean crut que Glasgow pouvait devenir un autre Petrograd. Il illustra sans doute la conviction passionnée qu’on attribue souvent aux Celtes. Il défendit une position intéressante qui associait l’internationalisme et l’indépendance nationale. Presque un siècle après sa mort, il reste une figure singulière, d’une certaine manière prophétique, dans le contexte d’une gauche britannique qui fut dominée durant tout le XXème siècle par le réformisme du Labour.

1 Une nouvelle biographie vient de paraître: Henry Bell, John Maclean, Hero of Red Clydeside, London, Pluto Press, 2018.

2 J’ai traduit des extraits cités dans l’ouvrage d’Henry Bell