Un congé paternité, enfin!

La chronique féministe • Après la Grève des femmes du 14 juin et sa magnifique réussite, nous espérions que le Conseil des Etats sortirait de sa rigidité habituelle et accepterait ENFIN d’accorder un congé paternité à leurs concitoyens... après 20 ans de lutte et une vingtaine de tentatives.

Après la Grève des femmes du 14 juin et sa magnifique réussite, nous espérions que le Conseil des Etats sortirait de sa rigidité habituelle et accepterait ENFIN d’accorder un congé paternité à leurs concitoyens… après 20 ans de lutte et une vingtaine de tentatives. C’est qu’on est lent, en Suisse! Par exemple, il a fallu attendre 1971 pour le droit de vote féminin, 2005 pour une assurance maternité qui figurait depuis 60 ans dans la Constitution! Nous savions que le Conseil des Etats devait en débattre jeudi 20 juin, 6 jours après LA grève, nous retenions notre souffle…

Contre l’avis du Conseil fédéral (qui l’a encore refusé le 23.5.19!), les sénateurs ont accepté par 26 voix contre 16 la création d’un congé de 2 semaines pour les jeunes pères. Il a en revanche rejeté par 29 voix contre 14 un congé de 4 semaines, que demandait la gauche. Le National doit encore se prononcer. Précision: le Conseil des Etats ne compte que 6 femmes sur 46 député-e-s (!), 13 de gauche (PS et Verts) et, heureusement, seulement 5 UDC, qui votent systématiquement contre les avancées sociales en général et les femmes en particulier.

Je ne comprends pas la position du Conseil fédéral, pourtant composé de trois femmes et d’un homme socialiste, ce qui devrait faire une majorité. D’ailleurs, Alain Berset avait l’air embarrassé quand il a dû défendre cette position.

Il est quand même invraisemblable que la Suisse soit le seul pays européen à n’avoir pas de congé paternité ou parental, alors qu’elle a l’un de PIB les plus élevés du monde! J’entendais encore récemment Christian Lüscher, pourtant père et plutôt ouvert, dire d’un air sentencieux qu’il fallait assurer son financement. Pauvre pays riche qui n’est pas capable de miser sur sa jeunesse! Pourtant, ce congé paternité ne coûtera pas grand-chose. D’abord, les hommes deviennent père seulement une à deux fois dans leur vie. Ensuite, le congé sera financé sur le modèle de l’assurance maternité, via les allocations perte de gain (APG). Pour 2 semaines, il faudra augmenter l’actuel taux de cotisation aux APG (0,44%) de 0,06 point; pour 4 semaines, de 0,11 point. La charge financière s’élève à 224 millions de francs par an pour un congé de 10 jours; à 420 millions pour 4 semaines. En outre, les 20 jours de congé paternité sont aujourd’hui déjà presque financés, puisque le nombre de jours de service militaire recule. A noter que les cours de répétition, eux, ne sont jamais remis en cause, ni leur coût!

Une analyse mandatée en 2018 par la Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF) montre qu’un congé parental a des répercussions positives sur la santé de la mère et de l’enfant, sur l’égalité entre hommes et femmes, mais aussi sur l’économie. Elle vise 38 semaines, mais recommande au moins 8 semaines de congé pour les pères. Le congé parental permet d’augmenter le taux d’emploi des femmes et pourrait ainsi contribuer à compenser la pénurie de personnel qualifié et permettre aux nombreuses mères qui souhaitent travailler plus de le faire. Les coûts du modèle de la COFF sont estimés, selon une étude de 2010, entre 1 et 1,5 milliard de francs. Or une augmentation de 1% du taux d’emploi des femmes permettrait déjà, avec les recettes fiscales engendrées, de couvrir les coûts d’un congé parental entièrement rémunéré de 18 à 20 semaines.

La situation est bien meilleure. Comme toujours, c’est au Nord qu’on trouve les situations les plus avantageuses. La Suède est le premier pays européen à instaurer un congé parental, en 1974. Il est aujourd’hui de 480 jours, à partager entre le père et la mère comme ils le souhaitent, dont 390 rémunérés à 80% du salaire, pour un plafond de 2500 €. Les 90 jours restants sont en revanche payés 7€ par jour, mais le congé peut être pris jusqu’au 8e anniversaire de l’enfant.

Au Royaume-Uni, le congé parental dure 3 mois et peut être pris en plusieurs fois, jusqu’aux 5 ans de l’enfant.

En Allemagne, il peut durer jusqu’à 3 ans, sous conditions. La prestation cible prioritairement les ménages disposant de faibles ressources.

En Belgique, il dure 3 mois et peut être pris en 3 périodes d’un mois jusqu’aux 4 ans de l’enfant. Même durée pour le Portugal, où il est porté à 12 mois en cas de temps partiel.

En Italie, le congé de 10 mois maximum (11 si le père partage le congé) est rémunéré de manière proportionnelle au salaire: de 80% jusqu’à 12 mois de congé, et la rémunération baisse ensuite jusqu’à 30% du salaire.

Le 4 avril 2019, le Parlement européen a adopté une directive sur «l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et aidants», revalorisant le congé parental, qui doit être transposé dans les 5 ans dans les pays membres. A la naissance d’un enfant, après les actuels congés maternité (16 semaines en moyenne) et paternité (11 jours en moyenne), les jeunes parents qui le souhaitent pourront s’arrêter de travailler chacun 2 mois, tout en gardant une rémunération haute, équivalente aux indemnités journalières de congés maladie, soit 50% du salaire initial.

Concernant le congé maternité, la palme revient à l’Estonie, avec une durée de 85 semaines. Puis la Hongrie avec 72 semaines, la Bulgarie, 61 semaines, la Suède 56, la Slovaquie 34, la République Tchèque 28, la Pologne 20.

La Suisse en est à 14 semaines à 80% du salaire pour le congé maternité et rien pour le congé paternité, mais bientôt, nous l’espérons à 10 jours ouvrables, pour commencer.

Philippe Bach écrivait, dans son édito du Courrier du 21 juin: «La Suisse est tellement à la traîne en la matière que cela en devient ridicule. Les pères helvètes sont les moins bien traités d’Europe et le pays est devenu une espèce de réserve enfantophobe. Il s’agit de mettre à mal le bon vieux patriarcat, celui de la répartition sexuée et conservatrice des tâches. En ce sens, les pratiques suisses ne correspondent d’ailleurs plus au cadre législatif.»

Une assurance paternité ou parentale est tout bénéfice: elle est bonne pour la mère, qui est mieux comprise et aidée, pour le père, qui établit dès la naissance une relation constructive, pour l’enfant, qui se développe mieux, pour le couple, qui est soudé… et pour l’économie! Il faudrait insister sur ce dernier point, pour lever les résistances des machos, des conservateurs et des peureux. Et accorder un congé parental d’au moins 8 mois, auquel les mères, les pères et surtout les enfants de ce pays ont droit. Demain, pas dans 60 ans!