Il était une foi violée et des crimes impunis

Société • L’Eglise catholique est confrontée à l’une des plus graves crises de son histoire à travers les scandales et abus sexuels. Réflexions autour du documentaire français, «Religieuses abusées, l'autre scandale de l'Église».

Auteur d’une pétition contre la cardinal Barbarin ayant couvert des crimes pédophiles, le Père Vignon dénonce les abus sexuels dans l’Eglise. (Dream Way Productions)

A ce jour, l’Eglise catholique se révèle peu ouverte à réformer son droit canon profondément inégalitaire. Mais aussi à prendre en charge ses victimes d’abus sexuels systémiques mis au jour notamment par le remarquable documentaire fruit de trois ans d’investigation diffusé sur Arte en mars, «Religieuses abusées, l’autre scandale de l’Eglise». Des victimes et témoins, qui ont eu le courage de parler, détaillent viols, harcèlements, manipulation et emprise tant mentale que spirituelle, esclavages sexuels, avortements forcés de religieuses notamment prostituées de force dans des Congrégations en Afrique de l’Ouest et au Vatican. Ces infortunées sont placées sous l’autorité de prêtres, mais aussi d’autres religieuses supérieures. Au civil, nul procès et aucune condamnation ne sont venus sanctionner les coupables de ces abus.

Victimes fragilisées

Pour la coréalisatrice Marie-Pierre Raimbault, «ces femmes ont subi un triple viol, physique, spirituel et social. Les religieuses d’aujourd’hui vivent dans l’environnement des réseaux sociaux. Il y a eu Me Too et ses révélations sur des hommes de pouvoir. Elles se sont senties plus aptes à raconter leur histoire, sachant que la société ne les condamnerait pas. Néanmoins, elles ont été élevées dans le respect et l’obéissance de l’institution religieuse.Ainsi celles qui ont osé parler, se rebeller, lancer des alertes ont souvent «connu d’importantes difficultés». Quitte à être chassées de leur communauté. Et se retrouver à la rue, prenant le risque de se prostituer. Car elles n’ont pas d’argent pour vivre.

Inégalités femmes-hommes

Mise en place en février dernier par l’épiscopat français, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase) a lancé le 3 juin un appel à témoignages auprès des victimes. Elle est déjà l’objet de réserves de la part des associations de victimes estimant ne pas avoir été associées à ce processus jugé trop long et lacunaire.

En 2019, l’Eglise est toujours incapable de reconnaître les femmes comme des égales. «Les hommes sont au pouvoir, les femmes au service», résument Maud Amandier et Alice Chablis dans Le Déni. Enquête sur l’Eglise et l’égalité des sexes. Reposant sur de nombreux dénis, dont celui de la sexualité, le modèle patriarcal défendu par l’Eglise justifie un système inique de domination. Il est profondément infériorisant pour les femmes, empêchant l’égalité et la justice entre les personnes de progresser.

Sous le choc des révélations de crimes pédophiles et d’abus commis sur des religieuses depuis des décennies, l’hémorragie des vocations, la désertion de fidèles bouleversés par la gravité des faits et le déni de justice, l’absence de prise en charge et réparation pour les victimes, prendraient des proportions inouïes. Elles font dire à Eric Colomer, producteur du documentaire que «L’Eglise catholique, c’est le Titanic».

Or rien ne s’oppose dans les Ecritures et le droit canonique à la nomination d’une femme à la prêtrise, comme évêque ou pape, selon Christian Terras, directeur de la revue Golias, critique de la hiérarchie catholique. Le fait que les hommes s’approprient les sacrements, monopolisent la parole, évinçant les femmes du sacerdoce, les réduisant au silence est parfaitement injustifiable et inacceptable à ses yeux.

Depuis 1994, Christian Terras dénonce les abus perpétrés au sein de l’Eglise. Il s’interroge aujourd’hui sur «le silence assourdissant des groupements féministes français notamment, possiblement au nom d’une séparation de l’Eglise et de l’Etat, alors que le calvaire vécu par des religieuses est universel». Il met en lumière une Eglise toujours travaillée par le déni et l’omerta concernant certains crimes perpétrés. Il fait partie de ceux toujours plus nombreux à réclamer la fin de la prescription – actuellement de 20 ans – pour les délits d’abus sexuels. Ceci en prônant leur requalification en crimes contre l’humanité assurant leur caractère imprescriptible.

Une « Lettre apostolique » discutée

Le pape François se fend le 9 mai dernier d’une Lettre apostolique saluée comme «un premier pas incomplet dans la bonne direction» par Christian Terras. Selon ce document entré en vigueur le 3 juin, les autorités ecclésiastiques doivent s’engager «en faveur de ceux qui affirment avoir été offensés».  L’une des obligations? Dénoncer les abus aux tribunaux civils. Or selon le Père Vignon, le personnel des tribunaux est démuni devant le phénomène de l’emprise mentale.

«Par manque de formation, ils ne savent pas caractériser juridiquement ces attitudes et laissent ainsi la part belle aux abuseurs. Quand une victime ou quelqu’un qui fait un signalement s’est fait aboyer dessus par un avocat général n’ayant pas de notion de ce qu’est l’emprise mentale, elle reçoit un deuxième traumatisme». Mais il y a plus grave, selon lui: «La façon de procéder en cas de plaintes sans que des experts laïcs extérieurs n’interviennent, sans délocalisation du procès et possibilité que les clercs puissent être jugés par des laïcs, signifie clairement que le linge sale continuera à être lavé en famille».

 Cas dramatiques en Afrique de l’Ouest

L’avortement forcé de religieuses prostituées dans des Congrégations en Afrique de l’Ouest constitue sans doute la dimension la plus invivable et cruelle des exactions commises. «Elles furent utilisées, dès le début, pour cette traite sexuelle interne, considérées comme vierges et donc exemptes de risque de contamination par le VIH. Mais la tragédie, c’est qu’elles peuvent l’être par des prêtres recourant à des travailleuses du sexe extérieures à la Congrégation.

Enceintes, elles doivent soit avorter, soit confier leur enfant à la société civile ou sont chassées de la communauté. Ce qui revient, pour elles, à une exclusion sociale de facto et au possible recours à une prostitution de survie», selon Elizabeth Drevillon, coréalisatrice du documentaire. Or le pape François a réitéré en octobre dernier la condamnation violente de ce «crime abominable perpétré par des tueurs à gages». A cela s’ajoute le cléricalisme. Ce dernier tend à étouffer toute concrétisation de volonté réformatrice.

Le chemin de croix de Doris Wagner

L’un des témoins-clé du documentaire est Doris Wagner. Dans des interviews, un livre et à la tv, la jeune femme affirme avoir souffert de diverses formes d’abus au sein la Famille spirituelle de l’Œuvre, près du Vatican. Du lavage de cerveau aux structures de direction autoritaires, de l’isolement sectaire à la violence sexuelle multiple (harcèlement, attouchements, viols, emprise mentale). Cette ex-religieuse de 33 ans a été violée à Rome en 2007. En 2010, le prêtre qui a abusé d’elle durant plusieurs mois a été confondu. Un autre prédateur mis en cause par Doris Wagner, et qui n’apparaît pas dans le documentaire, a réussi à obtenir son interdiction de rediffusion par Arte, grâce un Tribunal conservateur de Hambourg.

Les plaintes pour viols de Doris Wagner n’ont pas abouti au civil auprès de deux tribunaux. Le tribunal du Vatican a, lui, levé, le 15 mai 2019, l’accusation de harcèlement sexuel contre un Autrichien, membre de la communauté de l’Œuvre. Il avait été dénoncé par la théologienne allemande. Qui n’a pas été entendue par ce tribunal et en dénonce la partialité. «Sa Mère supérieure avait, un temps, acheté son silence en échange de 3000 euros versés par sa communauté. Son parcours est emblématique des énormes difficultés qu’endurent les victimes de viol se déroulant à huis clos à être reconnues par la voie judiciaire. C’est parole contre parole dans un système, où le fardeau de la preuve repose essentiellement sur la victime», conclut Eric Colomer.

Bertrand Tappolet

Site d’infos sur le sujet: www.cath.ch et www.golias-news.fr