Réouverture d’un espace culturel

Val-de-Travers • L’ancienne galerie Bleu de Chine se réinvente en espace culturel après plusieurs années de fermeture.

La renaissance d’un espace d’art qui conjugue habilement les matières et expressions les plus divers à Fleurier dans le Val-de-Travers (DR)

En 2012, la galerie Bleu de Chine de Fleurier au Val-de-Travers (NE) ferme ses portes. Adriana et Philippe Ioset, tous deux artistes et tenanciers du lieu, n’arrivent plus à maintenir cette activité. Sept ans plus tard, le couple a un emploi du temps moins chargé: il décide de remettre à flots l’ancienne menuiserie où nombre d’artistes avaient révélé leurs œuvres. Ils en font un espace culturel: en plus des expositions, sont au programme concerts, contes et lectures, journées d’immersion linguistiques ou encore ateliers «Croqu’art», pour découvrir les œuvres et en discuter autour de spécialités de la région. Bleu de Chine se veut être un lieu d’échange, de rencontres et de découvertes à travers l’art sous toutes ses formes.
L’exposition de réouverture mêle trois univers bien différents: ceux d’Adriana Ioset et de Didier Strauss en peinture, chacun dans l’une des salles de l’espace, et celui de Paul Estier en sculpture, qui établit le lien entre les deux.

Paul Estier, pour réconcilier l’incompatible

Des créations de verre et d’acier, voilà la manière qu’a choisi Paul Estier pour adresser ses expériences de vie et ses questionnements. S’il crée au départ uniquement sur métal, ce constructeur métallique de formation s’intéresse au matériau transparent après une visite chez un ami, qui possède un four à verre: «J’ai été fasciné par les possibilités qu’offrent cet élément. J’ai voulu l’intégrer à mon travail, et me suis rendu compte que l’associer au métal est un réel défi. Ceci a motivé ma création». Les contraintes techniques de cette combinaison ne sont en effet pas moindres, notamment lorsqu’il s’agit de chauffer les matériaux pour les assembler. La combinaison de ces univers difficilement conciliables est pourtant exactement ce que l’artiste souhaite toucher: les matériaux s’entremêlent et se répondent, malgré leurs natures très diverses. Paul Estier cherche aussi à matérialiser une réconciliation improbable: «Je suis issu d’une famille recomposée. Réunir deux univers incompatibles est important pour moi, c’est un genre de thérapie. Je crée ma propre solution à travers mes œuvres».

Didier Strauss, pour révéler les couleurs du blanc

«Le blanc, c’est nouveau!», s’exclame l’artiste, qui réalise normalement des peintures coup de poing pleines de couleurs, mais intègre cette fois-ci des touches immaculées. Et il y a bien un lien entre les deux: «Le blanc contient toutes les autres couleurs; en peignant, je ne fais que dévoiler ce qui était caché». Didier Strauss additionne les couches d’acrylique et les étale rapidement, de manière aérienne. Il crée un chaos qui, petit à petit, s’organise et tend à un rendu équilibré. Pour lui, la recherche de l’harmonie est un défi: «Je suis une piste quand je crée, les éléments se mettent en place les uns après les autres, sur le moment. Les dernières touches sont très émouvantes, c’est comme un accouchement».

Il arrive également que ce processus ne fonctionne pas. Mais l’artiste ne s’entête pas: «Je suis au service du tableau. Je vais le chercher et je veux le révéler, mais ça ne marche pas à tous les coups. Dans ce cas, je le laisse s’en aller». C’est aussi sa volonté de liberté totale qui lui permet d’abandonner certaines de ses œuvres. Retraité et n’ayant pas besoin de vivre de son art, il peut se dédier à créer uniquement ce qu’il souhaite. Son public doit également se sentir libre d’interpréter ses œuvres: «Lorsque l’un de mes tableaux est né, je m’en détache, il doit vivre sa vie. Il éveillera des émotions chez certains et chez d’autres pas. C’est ça qui est intéressant!».

Adriana Ioset, pour faire du quotidien une œuvre

Bien qu’Adriana Ioset utilise des toiles comme support, ce sont avant tout les reliefs et les matériaux qui frappent l’œil. Elle y mêle des éléments de récupération en tous genres, entre papier ménage, carton, bois, coquilles d’œufs et même cire d’abeille. «Mis à part l’acrylique, je n’achète rien. Certains matériaux me sont également donnés». La première étape est ainsi de poser ce relief, de construire en mélangeant les matériaux à disposition; cela lui permet de voir quelle suite donner à l’œuvre.L’artiste crée ainsi ses propres composantes, et la préparation des enduits appliqués ensuite n’y échappe pas: en plus de la peinture acrylique, les poudres de métal et le sable y ont également leur place. «Cette année, j’ai réalisé une série plus sobre que d’habitude. J’ai notamment utilisé le FullMetal, un alliage de poudre métallique et de résine». Cette pâte métallique, appliquée à la spatule puis poncée à la machine, offre un relief supplémentaire aux œuvres de l’artiste: en réfléchissant la lumière, elle donne à la toile un aspect différent selon l’éclairage. «Je recherche un équilibre. L’agencement des couleurs et la lumière y jouent un rôle important».
Mais avant tout, son art est destiné à faire ressentir, sans imposer de message: «Je ne veux pas que mes créations soient trop techniques. Je cherche à générer une émotion, si le spectateur peut recevoir quelque chose face à mes œuvres alors mon travail est fait».
En créant un lieu de rencontre et d’échanges pour tous les publics, Adriana et Philippe Ioset offrent une très belle renaissance à Bleu de Chine. Pour ce beau projet, pour leur énergie et leur persévérance, nous leur disons un grand merci.

Exposition de réouverture du 24 août au 16 septembre https://bleudechine.ch