Doctoresse volante

Solidarité • La Doctoresse cubaine Indira Garcia-Arredondo a témoigné dans le cadre de sa tournée européenne, invitée par les ONG allemande Humanitäre Cuba Hilfe (HCH), MediCuba Suisse ainsi que l’Association Suisse-Cuba.

Le Président brésilien Jair Bolsanaro n’a cessé de dénigrer la formation médicale délivrée à Cuba, selon Indira Garcia-Arrendo ici avec Bernard Borel. (DR)

Agée de 33 ans, Indira Garcia-Arredondo s’est spécialisée en médecine générale. En 2011, elle est partie au Venezuela exercer son métier au cœur d’un quartier populaire nouvellement construit par le gouvernement de Hugo Chavez dans son vaste programme de logements sociaux.

Rentrée à Cuba deux ans plus tard, elle a travaillé dans sa province natale de Santa Clara, avant de repartir au Brésil, comme tant d’autres médecins cubains. Ceci dans le cadre du programme «Mais Medicos» («Plus de médecins») lancé sous le mandat de l’ex présidente Dilma Rouseff, pour répondre au mieux au défi de santé de la population. Pour mémoire, ce programme a permis une chute de la mortalité infantile et maternelle, notamment dans les zones les plus isolées du pays, en Amazonie et dans des communautés indigènes.

Suite à l’élection du Président d’extrême droite Jair Bolsonaro et ses critiques virulentes sur le travail des médecins étrangers, le gouvernement cubain commence à rapatrier ses médecins, au nombre de 8300, en novembre 2018.30 à 40 millions de Brésiliens sont impactés par ce départ. Une étude chiffre en mai dernier à 100’000 le nombre de morts liées à l’interruption du programme «Mais Medicos» et aux coupes budgétaires.

Après son séjour brésilien de deux années, la jeune médecin fait une formation continue en urgence et en réanimation néonatale. Elle suit des cours de français, pour repartir dans un pays francophone, possiblement Haïti ou l’Algérie.

Indira est un exemple typique de la médecine cubaine. Tout à la fois simple, animée par une volonté de faire au mieux son travail, avec l’envie chevillée au corps de s’améliorer continuellement. En 1959 déjà, Fidel Castro avait imaginé la création d’une «armée blanche» pour prendre soin des plus défavorisés.

Ils sont aujourd’hui environ 40’000 médecins qui, comme Indira, travaillent à l’étranger, sans que pour autant les nécessités sanitaires cubaines ne soient délaissées. Doit-on rappeler que Cuba, malgré la limitation des moyens techniques, a la mortalité infantile la plus basse du continent américain, dont les USA et le Canada? La médecine y est axée sur l’éducation et la promotion de la santé ainsi que la prévention des maladies.

Parlez-nous de votre expérience au Venezuela?

Indira Garcia-Arredondo J’ai travaillé dans un quartier flambant neuf dans ce qui est appelé la «Polyclinique de diagnostic intégral» («Policlinico de diagnostico integral». On y trouve des médecins et infirmières réalisant leurs consultations. Mais aussi d’autres professionnels spécialisés dans la rééducation, assurant à nos côtés le suivi des maladies chroniques ainsi que des dentistes.

Par rapport à Cuba, ce qui m’a frappée? Le haut niveau technique de cet établissement pourvu d’appareils de radiographie à ultrasons. A cette époque, il y avait davantage de médicaments qu’à Cuba. Dont nombre que je n’avais jamais utilisés. C’était déstabilisant au début, mais tout aussi enrichissant. Ce, d’autant que la collaboration avec les professionnels vénézuéliens s’est révélée excellente. Néanmoins, la philosophie médicale de cette polyclinique était proche de ce que j’avais appris à Cuba. Les liens avec gens du quartier ont été aisés à tisser.

Au Brésil, était-ce différent?

Oui, car notre «brigade», formée de quelque 8000 médecins représentait le corps du programme «Mais Medicos» lancé en 2013 par la Présidente Dilma Rouseff. Rappelons que l’appel à participer à ce programme de santé publique destiné aux plus démunis et oubliés avait été d’abord ouvert aux médecins brésiliens, mais peu s’y sont inscrits. C’est pourquoi un accord a été réalisé avec l’Organisation panaméricaine de la Santé (OPS) et les gouvernements du Brésil et de Cuba, même si d’autres médecins étrangers se sont aussi engagés.

Nous avons d’abord consacré six semaines à suivre des cours de portugais et de mise à niveau, pour bien comprendre le programme tel qu’il était pensé. Et surtout pour nous sensibiliser au fait que la perception de la santé et des soins était fort différente qu’à Cuba.

Le Brésil connaît ainsi une médecine plus consumériste qu’à Cuba, peut-être même qu’en Suisse. J’ai été affectée à un quartier populaire de Sao Paulo. Et me suis étonnée de la facilité avec laquelle j’ai pu communiquer avec les gens. Nous étions bien encadrés, et pouvions régulièrement participer à des cours de la Faculté de médecine, ce qui était enrichissant.

C’est d’ailleurs lors de l’une de ces formations continues que nous avons appris, le 14 novembre 2018, que notre gouvernement nous rappelait tous à la Havanne. Ceci en réponse au discours méprisant et dénigrant du nouveau président brésilien. Jair Bolsonaro. voulait notamment nous faire repasser des examens au Brésil pour pouvoir continuer de travailler tout en décriant la formation médicale délivrée à Cuba.

C’est ainsi que 90% des médecins rattachés au programme «Mais Medicos» ont quitté le Brésil en moins d’un mois. Seuls sont restés ceux qui s’étaient mariés et quelques autres, dans l’espoir de s’installer durablement. C’est dire que ce programme de santé publique a été fortement fragilisé par la volonté du nouveau gouvernement brésilien. C’était choquant. Ainsi personne ne nous force à partir ou à revenir. Nos missions à l’étranger sont volontaires. Et percevons notre salaire au pays, disposant d’une indemnité (ou «per-diem») pour vivre dans le pays d’affectation. Nous ne manquons de rien.

Comment vous voyez-vous à Cuba dans 5 ans?

J’aimerais dire beaucoup mieux, surtout s’il n’y a plus de blocus. Je suis convaincue que le gouvernement actuel essaie de répondre aux nécessités et besoins du peuple. Comme médecin, j’espère néanmoins que le problème récurrent du manque des médicaments pourra être résolu. Cette pénurie complique naturellement notre travail de tous les jours. Pratiquer une autre spécialité médicale est l’un de mes buts. Mais je souhaite avant tout avoir la possibilité d’œuvrer à l’étranger.

Quel soutien possible apporter à Cuba?

Le soutien de HCH ou MediCuba est essentiel à nos yeux. Mais peut-être est-il encore plus important de souligner que notre pays est digne et fier de la manière dont le peuple y est traité. Et nous savons aussi profiter de la vie (rires).