Et si l’on parlait de féminicides?

La chronique féministe • Le terme «féminicide» (calqué sur homicide) signifie le meurtre d’une ou de plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine.

Ni una menos est le nom sous lequel se sont rassemblées les manifestations massives en 2015 et 2016, qui ont eu lieu dans plusieurs villes d’Argentine et dans d'autres pays de la région pour protester contre les violences faites aux femmes, notamment les féminicides. (Lara Va)

Le terme «féminicide» (calqué sur homicide) signifie le meurtre d’une ou de plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine. Il est entré dans le vocabulaire du droit et des sciences humaines en 2014 et dans Le Robert en 2015.

Le meurtre d’une femme est qualifié de féminicide quand il constitue le point d’aboutissement d’un continuum de violence et de terreur incluant un éventail d’abus verbaux et physiques, et s’exerçant spécifiquement contre elle en raison de son genre.

Il englobe ainsi les situations où le viol, l’esclavage sexuel, l’inceste, l’hétérosexualité forcée, les mutilations provoquent la mort de celle-ci. L’utilisation du mot féminicide est encouragée par les associations féministes. Selon elles, parler de féminicide, c’est transformer un fait divers en fait social. L’ONU développe depuis 2017 un prototype de «plate-forme de surveillance Féminicide». Ce site met à disposition des informations clés: définitions, données officielles et documents de référence, les meilleures pratiques dans divers domaines d’action ainsi que la législation et les mesures de prévention du monde entier.

Auparavant, quand un homme tuait sa compagne, on parlait de «crime passionnel» et on reléguait ces drames dans la sphère privée. Aujourd’hui, on sait que cela fait partie d’une chaîne ininterrompue de sexisme, de machisme, d’androcentrisme, de violence, d’un système plus ou moins accepté dans toutes les cultures.

Quand j’étais petite, j’entendais déjà parler de «crimes passionnels» et du haut de mes 7 ans, j’avais de la peine à comprendre qu’à l’intérieur d’un couple, le mari tue la femme qu’il aime. Je ne parvenais pas à imaginer ce qui pouvait l’énerver au point de commettre un meurtre. Il me manquait la clé: le fait que, pour un certain nombre d’hommes, les femmes ne sont pas des êtres humains à part entière, mais leur propriété. Je n’en ai compris le contexte et l’enchaînement qu’à partir de Mai 68, du MLF, des livres féministes qui sortaient à foison, des études, des séminaires, des groupes de réflexion. Avant, nous vivions dans une «terra incognita».

Du temps des hommes des cavernes, les hommes tabassaient-ils aussi leur femme si la soupe n’était pas assez chaude, pas assez bonne? Enfant, je voyais souvent des dessins représentant un homme préhistorique vêtu d’une peau de bête, tenant un gourdin dans une main, et tirant une femme par les cheveux de l’autre. Cela me terrifiait et me donnait une idée épouvantable de nos ancêtres.

Dès le début des manifestations féministes (MLF à partir de 1972, le 8 mars, Journée internationale des femmes, la Marche mondiale des femmes, MMF, les grèves de 1991 et 2019), les violences faites aux femmes ont fait partie de la liste des problèmes et revendications.

L’UDC prétend que les violences domestiques en Suisse sont surtout le fait d’étrangers. Or les spécialistes démontrent que les causes de ces actes sont multiples, touchent toutes les cultures et n’épargnent aucune génération ou nationalité.

En France aujourd’hui, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint (en Suisse, toutes les deux semaines). C’est pourquoi le gouvernement français a lancé, le 3 septembre 2019, le premier Grenelle contre les violences conjugales. Ce dispositif se conclura le 25 novembre 2019, Journée internationale contre la violence à l’égard des femmes. Durant cette période, une centaine de Grenelle locaux seront organisés un peu partout sur le territoire national, réunissant de nombreux acteurs: ministres, parlementaires, élus locaux, administrations, associations, familles et proches de victimes, avocats, médias, professionnels de la santé, du logement, forces de l’ordre… Avec un objectif: prendre des engagements concrets et collectifs visant à lutter plus efficacement contre les violences conjugales.

Cet objectif implique différents ministères, et s’articule autour de trois grands axes: Prévenir (un n° d’écoute anonyme et gratuit est à disposition: le 39 19) Protéger et prendre en charge Punir pour mieux protéger.
La France devrait s’inspirer du modèle espagnol. Dans ce pays de 46 millions d’habitants, les féminicides reculent: en 2018, 47 femmes sont mortes des mains de leur conjoint ou leur ex, contre 120 en France.

En matière de lutte contre les féminicides, l’Espagne doit beaucoup au destin tragique d’Ana Orantes. En décembre 1997, cette Espagnole de 60 ans témoigne à visage découvert à la télévision des 40 années passées au côté de son mari violent, dont elle est désormais séparée, et de ses appels à l’aide restés sans réponse. Moins de deux semaines plus tard, Ana Orantes est brûlée vive par son ex-conjoint. Ce fait divers marque l’opinion publique, entraînant en 1999 une réforme du Code pénal, qui créé une infraction spécifique, et la possibilité pour les juges aux affaires familiales de délivrer des ordonnances de protection.

Cette mesure, également utilisée en France dans une moindre mesure (1300 ordonnances délivrées en 2018, contre près de 20’000 en Espagne), permet d’interdire aux conjoints ou aux ex de femmes victimes de violences d’entrer en contact avec elles. Dans les années qui suivent, l’Espagne complète ce premier dispositif, notamment en créant en 2001 un Observatoire contre la violence domestique. Mais c’est avec la loi «relative aux mesures de protection intégrale contre la violence de genre», votée en 2004 sous l’impulsion du nouveau gouvernement socialiste de José Luis Zapatero, que l’Espagne devient un modèle dans la lutte contre les «violences machistes»

. Parmi les nouveaux dispositifs, des mesures éducatives et des campagnes de sensibilisation aux violences faites aux femmes, une formation obligatoire pour les personnels (magistrats, médecins, forces de l’ordre) en contact avec les femmes victimes de violences. Mais aussi toute une série d’aides gratuites leur apportant un soutien juridique, économique et psychologique, la mise en place de téléphones rouges, qui permettent aux femmes en danger de prévenir rapidement la police, et la création de 106 tribunaux dédiés aux affaires de violences conjugales. Dans ce cadre, les juges ont 72 heures pour instruire le dossier des victimes présumées.

Partout, il faut éduquer à la notion de genre depuis l’enfance, associer et former tous les corps de métiers qui peuvent avoir affaire à la violence envers les femmes, afin d’agir en amont et de mieux les protéger. L’ensemble de la société doit tenir le même discours, agir dans le même sens. Il est également indispensable de réviser les relations de nos sociétés à la virilité et à la violence, afin de transformer les rapports de genre et d’œuvrer au respect des un-e-s et des autres.