100Elles

La chronique féministe • Savez-vous combien il y a de rues à Genève? 548. Et combien portent le nom d’une femme? 41! Soit 7%.

Savez-vous combien il y a de rues à Genève? 548. Et combien portent le nom d’une femme? 41! Soit 7%. Certes, dans les siècles passés, les femmes étaient peu visibles dans le domaine public, mais tout de même. Et elles sont de plus en plus présentes.

Regardons du côté des «oubliées», par ordre chronologique:
Anne De LUSIGNAN (1418-1462), Duchesse de Savoie et fondatrice d’une chapelle au couvent de Rive. Élisabeth BAULACRE (1613-1693), Cheffe d’entreprise d’envergure, dirigeant une fabrique de dorures importante au XVIIe siècle. Albertine NECKER De SAUSSURE (1766-1841), Ecrivaine et pédagogue; autrice d’une œuvre pédagogique monumentale, dont les parties consacrées à l’éducation des filles ont un caractère pionnier. Jeanne-Henriette RATH (1773-1856), Peintre à la carrière professionnelle longue et exceptionnelle, elle est aujourd’hui reconnue pour ses portraits, ses aquarelles et ses miniatures. Son nom est notamment associé à la fondation du musée Rath, situé à la place de Neuve (1826), une institution pour le soutien des arts, parmi les premières ouvertes au public en Suisse.

Mary WOLLSTONECRAFT GODWIN, ou Mary SHELLEY, (1797-1851), Ecrivaine qui réalisa le roman à succès Frankenstein à Genève, à l’âge de 19 ans. Camille VIDART (1854-1930), Présidente de l’Union des femmes de Genève. Mina AUDEMARS (1883-1971), Pédagogue reconnue. Avec Louise Lafendel (1872-1971), sa collaboratrice et grande amie, elles sont, pendant 30 ans, directrices de la Maison des Petits, une école enfantine à la renommée internationale, qui forme aussi des éducatrices.

Marguerite FRICK-CRAMER (1887-1963), première femme déléguée, puis membre du Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Hélène GAUTIER-PICTET (1888-1973), Fondatrice du Centre de liaison des associations féminines de Genève, figure importante de la lutte pour l’accès aux droits civiques des femmes dans le canton de Genève. Marie-Thérèse MAURETTE (1890-1989), Directrice de l’École internationale de Genève. Marcelle BARD (1903-1988), Théologienne engagée, elle est la première femme pasteure à Genève. Jeanne HERSCH (1910-2000), Philosophe et professeure à l’Université de Genève. Marcelle De KENZAC (1919-2009), Metteuse en scène, pianiste, comédienne et éditrice.

Lise GIRARDIN (1921-2010), professeure de français de formation, politicienne du Parti radical suisse. Maire de Genève en 1968, 1972 et 1975, elle est la première femme en Suisse à occuper cette fonction. De 1971 à 1979, elle est aussi la première femme élue au Conseil des Etats. Monique BAUER-LAGIER (19222006), Conseillère nationale et conseillère aux Etats. Grisélidis REAL (1929-2005), Écrivaine et prostituée, également archiviste et militante pour les droits des travailleur.euse.s du sexe. Geneviève CALAME (1946-1993), Pianiste, improvisatrice et chercheuse dans le domaine électroacoustique et audio-visuel, elle est la compositrice suisse la plus jouée de sa génération.

N’est-ce pas injuste que ces femmes éclairées, qui ont marqué Genève dans différents domaines, ne figurent sur aucune plaque de rue? Reflet d’une société machiste. C’est pourquoi L’Escouade, collectif féministe genevois, créé en novembre 2017, a décidé de remédier (temporairement) à cet état de fait.

Dès le mois de mars 2019, tous les quinze jours, dans un quartier différent, dix plaques fuchsia ont été apposées sous des plaques bleues, selon les thématiques suivantes: militantisme, arts de la scène, Genève internationale, politique, savoirs et sciences, professions libérales, industrie, théologie, art et littérature, jusqu’à ce qu’il y en ait 100.

Bien sûr, les femmes, dont il reste des traces dans la mémoire collective sont souvent celles qui appartiennent à des catégories sociales privilégiées. Malgré cela, le projet 100Elles a tenu à prendre en compte les personnes minorisées, notamment à cause de leur classe, leur race, leur religion, leur identité de genre ou leur orientation sexuelle, dans la mesure où les sources historiques le permettaient.

On peut découvrir ces femmes et leur histoire sur le site internet 100Elles. Des visites guidées sont proposées dans chaque quartier.

Eh bien, le 7 octobre, je suis allée à l’une de ces visites, organisée par Kyrielle (association qui vise à mettre en évidence la contribution des femmes), dans le quartier de la Jonction. Deux historiennes nous guident.

Nous commençons par la rue du Stand, écriteau fuchsia (qui se voit de loin) dédié à Ruth-Bösinger (1907-1990), vendeuse et militante anarchiste. Au quai de la Poste, l’écriteau rappelle trois blanchisseuses, mortes simultanément quand le bateau-lavoir a sombré, le vendredi 1er août 1913, à cause d’une planche qui a cédé sur toute la longueur: Mme Marie Dido, 28 ans, mariée et mère de trois enfants, Mme Franceline Mermier, 73 ans, blanchisseuse, Mlle Cécile Pleold, 21 ans, employée-blanchisseuse. Le propriétaire et le gérant ne sont pas poursuivis. Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Une pétition socialiste demande la création de lavoirs municipaux. En 1914, le projet d’un lavoir municipal pour les Pâquis est adopté, avec un système permettant de bouillir le linge. Il est explicitement destiné aux ménagères de la classe ouvrière. Le tarif prévu est de vingt centimes de l’heure, sans bénéfice pour la Ville.

Rue de la Coulouvrenière: Louisa-Vuille (1901-94), ouvrière horlogère, syndicaliste. Rue des Rois: Elisa-Cabossel (1900-1982), syndicaliste. Bd St-Georges: Grisélidis-Réal. Puis nous allons dans le cimetière des Rois, sur sa tombe.

Nous terminons cette balade féministe autour d’un apéritif, à la coopérative d’habitation Codha, où les deux historiennes, professeures à l’Université de Genève, et une représentante de l’Escouade nous expliquent la genèse de ces plaques commémoratives. Elles auraient pu en faire 300! Des étudiant.e.s en lettres ont cherché des renseignements pour les biographies, le tout a représenté huit mois de travail bénévole. Les médias ont bien suivi. Le DIP est intéressé à faire un travail sur les quartiers.

Nous avons l’impression d’avoir rendu leur place à ces femmes qui ont marqué Genève. Les plaques sont censées rester trois mois. Nous aimerions bien qu’elles perdurent.
A l’avenir, au moment de baptiser une rue, les responsables devraient regarder du côté des femmes, et leur accorder un nom de rue jusqu à ce que l’on arrive, sinon à la parité, du moins à ce qu’elles représentent au moins un tiers.