Le chef de la femme, Dieu(x), les femmes et la loi

La chronique féministe • "Le chef de la femme, Dieu(x), les femmes et la loi". Ce titre m’avait flashée, et j’ai commandé le livre de Raymond Spira (Ed. Stämpfli) en service de presse. Je n’ai pas été déçue.

Ce titre m’avait flashée, et j’ai commandé le livre de Raymond Spira (Ed. Stämpfli) en service de presse. Je n’ai pas été déçue. Il restitue l’histoire de l’oppression des femmes à travers les religions. En effet, parmi les multiples avanies que subissent les femmes, celles qui résultent de lois ou de coutumes que les religions décrètent d’inspiration divine sont particulièrement redoutables par leur caractère «sacré», donc impossibles à remettre en question.

L’ordre divin consacre l’infériorité des femmes et leur soumission aux hommes, que ce soit dans le cadre de la famille ou dans celui de la société. Le sexisme fait partie des «valeurs» les mieux partagées par l’ensemble des intégristes. Une autre constante est le besoin de fixer des règles sexuelles. Les maris ont de tout temps surveillé leurs femmes pour s’assurer que nul autre homme ne pouvait les féconder.

De toutes les discriminations, celle qui frappe les femmes a pour spécificité sa constance et sa durée, à la différence d’autres systèmes de domination, aujourd’hui à peu près disparus, comme celles du maître sur l’esclave.

La misogynie qui sévit encore dans de nombreux pays, où les femmes sont écrasées sous le poids de mœurs ancestrales, se manifeste notamment dans la préférence donnée aux garçons lors d’une naissance. A l’époque moderne, dans les pays qui limitent de manière autoritaire les naissances (Chine, Inde, Japon), on observe un déficit important de filles, dû aux avortements ou aux assassinats de bébés filles, avec des conséquences désastreuses sur la démographie. En Chine, le déficit démographique est estimé à 33 millions de femmes.

Les religions s’accordent à placer la femme à la maison et à lui donner comme mission l’entretien du foyer. Mais dans nos sociétés occidentales, la «femme au foyer» est exclue de la «population active», même si elle travaille 15 heures par jour. Le machisme est le comportement le mieux partagé entre mâles, quelles que soient leurs opinions politiques ou philosophiques.

Il a fallu des siècles pour que les femmes acquièrent le droit à l’instruction et à la formation professionnelle dans les mêmes conditions que les hommes. Mais elles ont plus de peine à exercer un véritable pouvoir dans leur secteur d’activité, économique, politique ou culturel.

En outre, elles ont moins accès à la parole et à l’attention. On observe depuis plusieurs années, dans les régions où l’Eglise catholique, l’Eglise orthodoxe et les évangéliques exercent leur influence, une inquiétante remise en cause de droits qu’on croyait définitifs, en particulier dans les domaines du contrôle des naissances et de l’interruption volontaire de grossesse (USA, Amérique du Sud, Europe de l’Est).  Dans les Etats musulmans, en Israël et en Inde, les normes religieuses restent la source principale du statut personnel. Il y a aussi des Etats qui s’appuient sur les tribus et leurs modes de régulation sociale pour asseoir leur pouvoir. Ce sont alors des juridictions tribales qui règlent les conflits, sans tenir compte du droit étatique, ce qui est défavorable aux femmes.

Et quand la loi vise à protéger les femmes en interdisant certaines pratiques «traditionnelles» (cimes d’honneur, féminicides, mutilations génitales), elle n’est souvent pas appliquée par les autorités policières et judiciaires.

Pour tenter de comprendre l’origine du permanent statut d’infériorité du genre féminin, il est nécessaire d’analyser certaines des «lois divines» sur lesquelles prétendent se fonder les religions. Pour ce faire, l’auteur revient aux textes : le code d’Hammourabi (1760 avant J.-C.), l’Antiquité gréco-romaine, le judaïsme, le christianisme, l’islam.

Spira cherche ce que préconise chaque système sur un certain nombre de points: la supériorité des hommes, l’infériorité des femmes, le mariage, la maternité et le contrôle des naissances, la sexualité (considérée comme un mal nécessaire), le divorce, l’adultère, le viol, l’inceste, l’avortement, les vêtements.

Les lois gréco-romaines ne sont pas «révélées» mais relèvent de l’autorité divine. A Rome, les femmes ne comptaient pas, littéralement, puisqu’on ne les dénombrait pas dans les recensements. Elles subissaient la toute-puissance du pater familias.

Pour le judaïsme, le récit biblique n’a rien changé à la structure de la société primitive, il l’a seulement sacralisée. Malgré l’attitude bienveillante et attentive de Jésus envers les femmes, de nombreux textes du Nouveau Testament consacrent sans équivoque l’infériorité des femmes et leur soumission à l’autorité des hommes, notamment dans les épîtres de Paul.

Dans toutes les religions, le statut des femmes est inférieur à celui des hommes. Il en va de même dans les textes de lois. Le Code Napoléon, dans sa version originelle de 1804, est un modèle de sexisme juridique. Le Code civil suisse, jusqu’au 31 décembre 1987, stipulait que le mari est le chef de l’union conjugale. A la fin, l’auteur se demande si les dieux, leurs liturgies et leurs lois ne sont pas tout simplement un stratagème dont usent les mâles humains pour mieux dominer leurs femelles. Mais la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 est également machiste et misogyne. Olympe de Gouges (1748-1793) mourra sur l’échafaud pour avoir publié la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne.

Après 200 pages de constats déprimants, l’auteur entrouvre une fenêtre d’espoir. Pour abolir l’oppression des femmes, il faut donner la primauté à la loi civile sur les lois religieuses. Pour mettre fin aux discriminations, le principal texte normatif de droit international est la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, du 18 décembre 1979 (CEDEF). L’un de ses mérites est de fournir un inventaire des discriminations dont les femmes sont victimes, aujourd’hui encore, dans beaucoup de pays.

La convention d’Istanbul du 11 mai 2011 a pour objectif de prévenir, poursuivre et éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes.  La loi civile, le droit, les conventions signées par la quasi-totalité des pays devraient permettre d’instaurer l’égalité entre femmes et hommes, de lutter contre les violences, de permettre à chacun.e de vivre selon son désir. Mais il faudra, pour cela, lutter contre les préjugés, contre une vision discriminatoire du rôle des femmes et des hommes, qui nous ont été transmis par les religions, depuis des siècles et des siècles. Amen.