Sinistre Black Friday

La chronique féministe • Assez! Des publicités de toutes sortes déferlent sur les ménages pour vanter le «Black Friday» et leur faire dépenser le plus d’argent possible.

Assez! Des publicités de toutes sortes déferlent sur les ménages pour vanter le «Black Friday» et leur faire dépenser le plus d’argent possible. Une aberration, alors que les gens et les gouvernements prennent conscience de l’urgence climatique, réclament ou prennent des mesures pour préserver l’environnement.

Cette sinistre mode nous vient des Etats-Unis. Le Black Friday (Vendredi noir) est un événement commercial, qui a lieu le lendemain de Thanksgiving, le 4e jeudi du mois de novembre. Thanksgiving (action de grâce) est une fête célébrée en famille autour de grands dîners et en joyeuses réunions.

Historiquement, on remerciait Dieu par des prières et des réjouissances pour les bonheurs qu’on avait pu recevoir pendant l’année. Le vendredi qui suit marque traditionnellement le coup d’envoi des achats de fin d’année. Plusieurs commerçants en profitent pour proposer des remises importantes.

Dans la presse, le terme apparaît pour la première fois dans un article de 1951. Il désigne alors, pour les employeurs, le long week-end que prennent leurs employés et qui provoque des bouchons conséquents sur les routes, «noires de monde». Les policiers utilisent aussi l’expression Black Friday pour désigner leurs heures supplémentaires durant ce week-end de festivités.

En 2015, 67,6 milliards de dollars ont été dépensés aux Etats-Unis durant le week-end du Black Friday, une somme en augmentation quasi constante depuis 2005, ce qui en fait le jour le plus lucratif pour les commerces.

En France, le Vendredi noir démarre timidement en 2013, pour prendre son envol en 2016, surtout par Internet. Cette journée de promotions massives touche aussi des produits habituellement peu soldés (ordinateurs, smartphones, téléviseurs…) En 2014, Auchan, le Fnac, Darty, La Redoute, Leroy Merlin, Géant Casino, entre autres, lancent le Black Friday dans leurs magasins. Les remises incluent souvent le week-end, voire la semaine qui suit, alors qu’elles ne durent que 24 heures aux USA. L’intérêt des Français pour l’événement augmente chaque année.

En novembre 2016, les recherches sur Google relatives au Black Friday ont plus que doublé par rapport à l’année précédente, atteignant le nombre de 2,4 millions. Les catégories de produits les plus plébiscitées étaient l’électronique, la maison et la mode. Dès 2017, les achats se font de plus en plus dans des enseignes physiques.

En Suisse, les promotions du Black Friday apparaissent en 2014, c’est Manor qui en est le pionnier. Puis l’événement prend de l’ampleur avec une participation croissante des commerçants suisses. Les recherches sur Internet ont augmenté de 30% en 2018 par rapport à 2017, les dépenses en Suisse avoisinent les 440 millions de francs.

En 2019, malgré les critiques, la croissance du Black Friday continue, avec une prévision de croissance autour de 15%.  Les gens se ruent donc sur les «occasions» qu’on leur fait miroiter. Quitte à acheter des objets dont ils n’ont pas l’utilité. Ils tapent fébrilement sur Internet ou s’entassent dans les magasins. Certaines images font penser aux soldes, quand elles n’avaient lieu que deux fois par année. Les clients, surtout des clientes, massés devant les portes avant l’heure d’ouverture, qui se ruent à l’intérieur en bousculant tout sur leur passage, comme si leur vie dépendait d’une bonne affaire…

D’un côté comme de l’autre, à part quelques exceptions, il s’agit d’une arnaque organisée, puisque les prix ont été relevés avant les remises, ou que des stocks entiers ont été fabriqués pour l’occasion. Selon l’UFC-Que choisir, la moyenne des réductions effectives sur chaque article est inférieure à 2%.

Depuis 2017, l’opposition au Black Friday s’organise pour lutter contre la surconsommation. Certaines entreprises refusent d’y participer. Des associations écologistes ont formé un collectif appelé Green Friday. Le réseau de recyclage«Envie» lance des animations portes ouvertes dans ses ateliers pour «sensibiliser aux alternatives responsables».

L’organisation Greenpeace imagine la campagne «Faites quelque chose», avec plus de 273 événements dans 38 pays, invitant à «ne rien acheter» lors du Black Friday. Elle met sur pied des ateliers et des conférences sur le recyclage, la réparation et l’autoproduction de biens par les particuliers.

Personnellement, je n’ai jamais participé à la ruée des soldes et suis révoltée par l’agressivité du Black Friday. J’ai reçu par la poste, sur fond noir, une offre des vins Vinum et de la Fnac: une «vente privée» (!) qui commençait le jeudi 28 dès midi. Le journal GHI arborait une demi-couverture supplémentaire, sur fond noir, payée par Conforama, qui annonçait des remises de 20% sur un certain nombre de marques.

Par e-mail, j’ai reçu une offre d’Ikea, de Salt, 2 offres de GO voyages (dont une le samedi 30, intitulée «black week-end»), idem pour la Fnac, Déguise-toi, ACR, Lulu, Ticket corner. Vegaooparty déclare que «ça va être tout noir»! On est aussi harcelé par la télévision: annonces de Fust, Interdiscount, Jysk… Enfin, la Clinique (peeling, injection, etc.) célèbre le Black Friday durant tout le mois de décembre! Et je n’en crois pas mes yeux: ça continue le lundi 2 décembre!

Assez! L’augmentation des achats multiplie les matériaux nécessaires à la fabrication des écrans et des objets soldés, la pression sur les travailleurs et travailleuses, dont des enfants, au bout de la chaîne, les achats par Internet (dont le tiers est retourné) accroissent les transports, donc les émanations de CO2. Tout cela pour des articles inutiles, ou qui resteront au fond d’une armoire. Ce Black Friday, ce vendredi fou, est catastrophique pour l’équilibre de la planète.

Mercredi 27 novembre, la Tribune de Genève a publié un article passionnant intitulé «Quand Zola prédisait le Black Friday». Marianne Grosjean reprend Au bonheur des dames, qui décrit le premier grand magasin de Paris, sa logique marchande fondée sur l’addiction au shopping et une concurrence agressive. Les femmes en sont les premières victimes.

Rien n’a changé, à part Internet, qui amplifie encore le phénomène.  Il y a quelque chose de profondément déprimant à constater le succès de la surconsommation, alors que la planète brûle. Une autre logique est pourtant possible et rend plus heureux. Des associations prônent des ateliers de réparation, des magasins de seconde main, des échanges de vêtements, livres, skis, la mise en commun d’objets comme la perceuse, la tondeuse à gazon, bref la solidarité dans le respect des autres et de notre Terre.