Les concours de «Miss» et leurs conséquences

La chronique féministe • Le concours de beauté, sous sa forme contemporaine, fait son apparition au début des années 1920 dans des nombreux pays occidentaux (France, Italie, Angleterre, Allemagne…).

Zozibini Tunzi, Miss Afrique du Sud, jeune femme noire de 26 ans, a été couronnée Miss Univers 2019, dimanche 8 décembre à Atlanta, par un panel de sept femmes, à l’issue d’une cérémonie, où il a beaucoup été question du droit des femmes à disposer d’elle-smêmes.

Le concours de beauté, sous sa forme contemporaine, fait son apparition au début des années 1920 dans des nombreux pays occidentaux (France, Italie, Angleterre, Allemagne…). Le nom de «Miss» vient d’Amérique; la lauréate du concours de beauté incarne une réussite «à l’américaine».

Plusieurs milieux, dont «Osez le féminisme», s’élèvent de plus en plus contre l’organisation de concours de Miss, qui non seulement donnent des femmes une idée stéréotypée, mais survalorisent leur aspect physique. Les critères sont: mesurer au moins 1,70m, être très mince, parfaitement épilée, brushée, maquillée… En outre, comme pour le concours Miss France, elles doivent répondre à des normes «vertueuses» concernant leur mode de vie: être célibataire, n’avoir pas d’enfant, n’avoir jamais posé dénudée, n’avoir pas de tatouage ni de piercing.

Une vision réactionnaire qui défie les décennies. Les autres femmes ne sont donc pas dignes de représenter leur région ou leur pays. Le principe même des concours de beauté, en procédant à une sélection sur l’apparence, les réduit au rôle de femme-objet, qu’on peut admirer, juger et désirer sous toutes les coutures, notamment en les détaillant morceau par morceaux: les jambes, les hanches, les fesses, la poitrine, les épaules et, finalement, le visage. Les standards auxquels sont soumises les candidates (quasiment interchangeables, à tel point qu’on se demande comment font les jurys pour les départager) sont irréalistes et ne correspondent pas à la grande majorité des femmes.

Les filles sont ainsi confrontées à des stéréotypes qu’elles intériorisent dès leur plus jeune âge, et les garçons apprennent que les femmes sont des poupées qu’on peut traiter comme telles. Le pire du pire étant les concours de beauté destinés aux fillettes. Les organisateurs de ces jeux de cirque devraient avoir honte, ainsi que les mères, qui poussent des petites de 5-6 ans à singer les grandes. Ces concours et leurs standards sont des machines à broyer et à donner des complexes.

Subissant de fortes injonctions à la beauté, à la maigreur et à la jeunesse, les jeunes filles culpabilisent de ne pas correspondre aux critères d’une beauté factice, ce qui a des incidences sur leur santé (certaines deviennent ainsi anorexiques). De surcroît, la mise en concurrence des femmes favorise leur isolement, alors que les hommes sont valorisés en jouant en équipe, en sport, par exemple, voire en politique. On parle ici de «fraternité», alors que le mot «sororité» n’est pas utilisé.

En réaction contre les concours de beauté, il a été organisé des concours valorisant les femmes pour leur bénévolat. Hélas! On retombe dans les stéréotypes. La femme semble n’avoir le choix qu’entre deux destins: être belle ou dévouée. Certes, depuis quelques années, on met en avant les qualités intellectuelles des candidates, à l’aide de questionnaires de culture générale.

On a également organisé des concours «Miss mère célibataire», ou de jeunes femmes issues de l’immigration. Mais on continue à mettre les femmes en compétition sur des critères de beauté. Ces concours ont un côté pervers: à force de valoriser la beauté physique et de découper le corps des femmes en tranches, on renforce l’idée que les femmes sont des poupéesobjets, ce qui, au bout du compte, entraîne les violences contre les femmes.

Beaucoup d’hommes ont intégré ces critères et agissent envers leur compagne comme si elle n’était qu’un corps dont ils ont la possession. Simone de Beauvoir décrit dans Le deuxième sexe, un double phénomène: la femme serait à la fois objet pour celui qui la regarde, mais aussi pour elle-même. Ce qui fait qu’elle adhère aux standards qui l’enferment. Sabine Lambert dans Bienvenue chez les «pas nous, pas nous» relève: «Entre s’approprier verbalement le corps d’autrui, en se permettant, par exemple, de jauger de la fermeté des fesses, et y mettre une main pour s’assurer de son jugement en laissant cette main malgré les protestations d’une femme, il n’y a pas de fossé, mais une continuité.»

C’est probablement ce qui se passe dans la tête de l’homme à la cagoule et au vélo orange, qui sévit en ce moment à Yverdon.

Les 23 finalistes de Miss Pérou 2017, dans leur robe à paillettes, ont surpris le public. «Mon nom est Camila Canicoba et mes mensurations sont… 2’202 féminicides en neuf ans dans mon pays». Le Pérou est en effet le deuxième pays d’Amérique du Sud comptant le plus grand nombre de femmes violées, derrière la Bolivie, d’après l’Observatoire de la sécurité citoyenne qui dépend de l’Organisation des Etats américains (OEA).

En Argentine, où les féminicides sont nombreux, on établit un lien direct entre violences faites aux femmes et concours de beauté. Une commission gouvernementale a l’intention de les supprimer. Le fléau des féminicides étant universel, y compris en Suisse, au 9e rang européen, il faut espérer que d’autres gouvernements fassent de même et que, finalement, les concours de beauté soient partout interdits.

Ce phénomène de sexualisation des femmes se vérifie également dans les jouets (pages et rayons roses pour les filles, bleus pour les garçons), qui restent figés, côté féminin, dans les objets ménagers et les poupées, dont les abominables «Barbie», alors que les garçons disposent d’un vaste choix qui, de surcroît, met en valeur la créativité.

Le conditionnement se fait donc dès le berceau. Il est amplifié par la publicité, présente jusque dans les rues, qui vante le physique des femmes, les découpant en morceaux (poitrines et fesses chez Aubade, où le mannequin n’a plus de tête), voire en simulant des scènes de violence, comme sur cette sinistre réclame de champagne montrant une femme qui arbore un œil au beurre noir…

Ce matraquage forge la représentation des femmes, et des hommes, et a de lourdes conséquences sur la société dans son ensemble. Il explique, notamment, la perpétuation du sexisme dans tous les domaines: éducation, emploi, statut, salaire, représentation et, au bout de la chaîne, les violences faites aux femmes. Il vaudrait mieux mettre en avant des personnes, femmes et hommes, qui contribuent au progrès de la société.