Taxer les urgences: un frein à l’accès aux soins

Suisse • Le Conseil national veut taxer les patients qui se présentent aux urgences pour des «cas bénins». La mesure touchera avant tout les personnes les plus pauvres privées d’un suivi médical régulier.

La question de la disponibilité des médecins se pose aussi dans le cas de la fréquention des urgences hospitalières. (Ikiwaner)

Le 3 décembre dernier par 108 voix contre 85, le Conseil national a décidé de donner suite à l’initiative parlementaire du Vert’libéral Thomas Weibel, «Urgences hospitalières. Taxe pour les cas bénins».

L’objectif de cette proposition est d’imposer une taxe de 50 francs – qui ne serait pas imputée à la franchise ou à la participation aux coûts – à chaque patient se rendant aux urgences hospitalières. Les enfants jusqu’à 16 ans, les patients envoyés par un médecin et les malades dont le traitement nécessite ensuite une hospitalisation pourraient en être exemptés. On notera au passage l’usage du conditionnel…

Rapporteur de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, le conseiller national libéral-radical Philippe Nantermod a argumenté en faveur de la mesure: freiner l’usage «abusif» des urgences pousserait les patients à choisir des alternatives et désengorgerait «certains services d’urgences», ce qui permettrait de réduire les coûts de fonctionnement des hôpitaux et donc le montant des primes d’assurance-maladie. La baisse du montant des primes est à relativiser, puisque, comme Philippe Nantermod l’a lui-même admis dans son intervention, seuls 2% des dépenses de l’assurance obligatoire des soins sont imputables aux urgences.

Une administration impossible

Dans les débats, la gauche a critiqué une mesure irréalisable. «L’appréciation du degré de gravité d’un cas est très difficile», remarque le conseiller national popiste Denis de la Reussille. «Comment définir un cas bénin, qui  déterminera les critères et comment le personnel soignant les appliquera-t-il? C’est administrativement inapplicable».

On peut par ailleurs se demander si l’introduction de cette taxe ne coûterait pas aussi cher en administration que ce qu’elle rapporterait en termes de baisse des coûts de la santé. Dans tous les cas, au final, une éventuelle baisse des primes serait de toute façon payée par les patients via la taxe, en freinant au passage l’accès aux soins de certaines personnes pour qui il n’est pas forcément possible de trouver 50 francs dans une situation d’urgence.

La responsabilité individuelle, vraiment? L’argument principal avancé par la droite pour défendre l’introduction de la taxe aux urgences est celui de la responsabilité individuelle. Le fait de devoir payer responsabiliserait davantage les
patients et les pousserait à choisir d’aller voir leur médecin de famille ou leur pharmacien plutôt que de se rendre aux urgences.

Mais tout le monde a-t-il réellement le choix? Pour le pédiatre Bernard Borel, «les utilisateurs réguliers des urgences sont aussi ceux qui n’ont droit qu’aux soins urgents et pas à un suivi médical régulier. Ces personnes ont opté – par nécessité plus que par choix réel – pour des franchises élevées et ne consultent que lorsqu’elles se sentent gravement malades et hélas souvent un peu tard».

La question de la disponibilité des médecins se pose également. «Combien de patients vont aux urgences des hôpitaux parce que leur médecin traitant ne peut pas les recevoir rapidement, que le téléphone est fermé avant 17 heures et tous les week-ends?», poursuit Bernard Borel.

«Souvent, c’est aussi pour avoir un certificat médical exigé par le patron et que le médecin traitant ne peut pas les recevoir que les gens se rendent aux urgences.» Equité des soins? Le Conseil des États doit encore se prononcer sur l’objet.

Alors que les frais de santé pèsent de plus en plus lourdement sur le budget des classes populaires, on attendrait du nouveau parlement des mesures de fond pour garantir l’accès aux soins à l’ensemble de la population. Au contraire, les députés de droite, fortement influencés par les lobbies de la pharma et des assurances, déploient leur vision libérale de la santé sans se soucier de la viabilité du système ni de l’équité des soins. Les Vert’libéraux ont d’ailleurs confirmé avec ce dossier qu’ils sont bien plus libéraux que Verts.