Aide à la presse print: peut mieux faire

Vaud • Le canton a annoncé la semaine dernière un plan d’actions de 6,2 millions de francs sur cinq ans en faveur de la presse, dont 2,5 millions seront destinés à la publicité institutionnelle dans les journaux. A qui profitera la manne?

Manifestation des syndicats Syndicom et Impressum contre les licenciements à l’Agence Télégraphique Suisse (ATS) en 2018. (Impressum)

«Le fonctionnement d’une société démocratique repose sur la possibilité de se former librement une opinion sur les événements du monde et les questions politiques nationales ou locales. Au vu de ces enjeux et préoccupé par la crise que connaît aujourd’hui le monde de la presse, le Conseil d’Etat estime fondé le principe d’une aide publique dans ce domaine», a annoncé la semaine dernière le gouvernement vaudois.

Dans son escarcelle, qui se monte à 6,2 millions de francs, toute une série de mesures, qui doivent encore passer devant le Grand Conseil pour approbation.

La plus originale est sans conteste la création d’une plate-forme d’abonnement pour la presse vaudoise (kiosque virtuel vaudois) à tarif préférentiel pour les quelque 8’000 à 9’000 jeunes qui atteignent chaque année l’âge de 18 ans. Coût global: 1,4 million. Un plan d’éducation aux médias (pour plus d’un million) sera aussi destiné aux jeunes lecteurs.

Le gouvernement prévoit aussi d’augmenter les dépenses publicitaires «afin d’injecter rapidement des moyens aux effets directs et instantanés dans les différents médias vaudois» (avec des annonces en lien avec les droits démocratiques, les emplois et l’actualité du service public) à hauteur de 2,5 millions.

Il entend aussi prendre en charge les coûts d’un emploi de journaliste localier au sein de l’agence Keystone-ATS afin de couvrir l’actualité vaudoise, à prix abordable pour les médias locaux et régionaux. Il projette aussi de couvrir les frais d’écolage pour les journalistes stagiaires notamment au sein du Centre de formation au journalisme et aux médias (CFJM) de Lausanne.

Pour finir, le plan prévoit des investissements dans des nouveaux canaux d’accès et de distribution de l’information.

Ces mesures de soutien financier ne mettront-elles pas en péril l’indépendance de la presse? Le Conseil d’État ne le croit pas, et a tenu à préciser que ces aides subsidiaires pour la presse privée «respectent le principe fondamental de liberté rédactionnelle et éditoriale des médias». Mais quid de l’auto-censure des journalistes? Rappelons que toutes enquêtes sur Pascal Broulis ont été menées à Zurich par la NZZ.

Ce programme a immédiatement été salué par les deux syndicats de la branche, Syndicom et Impressum. Les deux considèrent cependant que les mesures proposées sont insuffisantes pour induire un véritable effet. Le premier souhaiterait, par exemple, des mesures pour garantir l’accès à un emploi aux jeunes diplômés du CFJM.

Initiatives genevoises

Pour l’heure Vaud fait œuvre de pionnier. A Genève, le projet de loi, présenté par la députée socialiste Caroline Marti et déposé en mars 2018 pour mettre sur pied une Fondation genevoise dotée de 10 millions de francs pour la diversité des médias écrits est encore à l’état de la discussion.
Entre-temps, une Fondation nommée Aventinus, dotée de plusieurs millions, patronnée par Fondation Leenaards, la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature et la Fondation Hans Wilsdorf, ainsi que quelques mécènes privés, a été lancée au bout du lac en octobre 2019. Le premier projet, élaboré par le Club suisse de la presse et soutenu à hauteur de 600’000 francs, sera la création d’une plateforme journalistique «Geneva World News», axée sur la Genève Internationale.

A noter aussi que la Ville de Genève a un budget de plus de 600’000 francs pour des annonces et partenariats médias, comme l’avait précisé le conseiller administratif Sami Kanaan, lors d’une journée de la presse en 2018 au MEG. Où va l’argent? La question reste ouverte.

Dans les autres cantons romands, aucune aide à la presse ne pointe à l’horizon pour l’instant. La presse neuchâteloise, qui a vu la fusion de L’Express et de L’Impartial n’a sans doute aucun souci.

Une «manne» qui se fait attendre

Qui recevra la manne vaudoise, notamment les recettes publicitaires? Dans l’exposé des motifs de son Projet de loi, le gouvernement prévoit que le montant de ce plan d’annonces sera réparti selon une clef encore à définir. Celle-ci devra cependant tenir compte du tirage papier authentifié, de l’audience web qualifiée, du nombre d’abonnés payants certifiés, ainsi que d’autres critères.

A terme, la publicité ne risque-t-elle d’appeler la publicité et les journaux les plus commerciaux recevoir l’entier de la manne, quitte à renforcer le monopole local d’un titre privé en lui offrant une rente de situation.

Depuis 2018, la ville de Lausanne a ainsi confié son encart rédactionnel sur l’actualité de la ville au journal Lausanne Cités (dont le pendant genevois est GHI). Cet encart paraît vingt-deux fois l’an, pour un coût de 170’000 francs annuels et une durée de cinq ans Une enveloppe budgétaire de 70’000 francs pour des insertions publicitaires dans des médias imprimés couvrant l’actualité lausannoise, et dont bénéficie le journal de Tamedia, 24Heures, existe aussi depuis 2019.

Pour sa part, la Ville de Nyon apporte son soutien à La Côte avec l’insertion de publi-reportages pour un montant annuel de 100’000 francs par an.