Démographie, les effets d’une concurrence absurde

Neuchâtel • Les communes neuchâteloises enregistrent des fluctuations variées, mais ces dernières années le canton a perdu des habitants.

Le Canton de Neuchâtel a perdu 1142 habitant.e.s en 2018 et 392 en 2019. (Cevenol2)

Commençons par chiffrer cette baisse. En 2010, le canton comptait 172’021 habitants, pour 176’328 à fin 2019. Soit une augmentation sur la dernière décennie. La baisse s’est surtout constatée ces toutes dernières années. Et c’est l’inquiétude que cette tendance puisse s’inscrire dans le long terme, combinée à d’autres indicateurs comme la délocalisation d’emplois, par exemple, qui pousse à vouloir réagir. Mais en chiffres, la baisse de 2019 ne concerne «que» 392 personnes, soit 0.2% de la population.

L’explication habituellement avancée pour expliquer ces départs est la fiscalité, Neuchâtel étant réputé spécialement rédhibitoire pour les personnes physiques. Et il faut admettre que depuis la baisse massive de l’imposition des entreprises du Conseiller d’Etat socialiste Jean Studer en 2010, nous n’avons pas vu la couleur de la baisse fiscale qui avait à l’époque été promise aux personnes physiques. Celles-ci supportent dès lors une bonne part de l’effort fiscal du canton, et doivent malgré tout faire face à des coupes drastiques dans les services publics.

Cependant, avec davantage de recul, on peut constater que le problème est plus systémique que cela. Certes, l’imposition est un facteur important, mais la Chaux-de-Fonds, par exemple, fait plus que compenser ce désavantage avec le prix de ses loyers. Et perd néanmoins des habitants.

C’est peut-être une question de contexte professionnel. Les évolutions sociétales – digitalisation, nouvelles technologies, etc. – font que les hautes écoles universitaires et les EPF suscitent énormément d’intérêt. Dans un monde où une bonne part de la population se déplace sans grande difficulté, la possibilité d’aller étudier à l’EPFL par exemple suscite un attrait indéniable. Ce qui conduit à une concentration des talents, et donc à une attractivité plus grande, et la spirale est lancée. Pour prendre un exemple trivial, si un programmeur de génie naissait à la Brévine, il y a de bonnes chances qu’il se dirige vers l’EPFL, et très peu qu’il décide ensuite de revenir pour fonder une start-up dans son village d’origine. Cette concentration se chiffre également: l’EPFL est passé de 6’000 étudiants en 2003 à plus de 10’000 en 2015. Ce qui a logiquement des conséquences sur les autres régions, surtout si l’on considère que passablement de ces étudiants ne vont pas ensuite «retourner chez eux».

Tendance lourde

C’est une tendance que l’on peut comprendre. Ses conséquences sont que la région lausannoise va connaître une attractivité exponentielle, dont les fruits ne bénéficieront qu’à elle. A ce jeu, les cantons périphériques qui ne sont pas dotés de tels atouts sont sévèrement désavantagés, et sur de multiples dimensions. Les médias seront davantage impliqués dans ladite région, les investissements fédéraux s’y dirigeront plus facilement, les entreprises s’y installeront plus naturellement, etc. Certes,
la péréquation fédérale permet de compenser quelque peu cet état de fait, mais un transfert financier ne peut gommer une telle tendance, difficile à chiffrer sur le long terme. Le problème vient de la concurrence intercantonale. Au final, celle-ci pousse chaque canton à se battre pour attirer un maximum d’investissements et d’habitants, plutôt que de collaborer pour, par exemple, répartir les structures de formation, partager les retombées économiques et réduire les conséquences négatives – sur le logement notamment – que la croissance entraîne.

A l’heure de la mobilité extrême des populations, cette concurrence est de plus en plus absurde et pose des problèmes écologiques inacceptables. Et si nous voulons éviter la création d’une «diagonale du vide» à la française, avec une centralisation à outrance dans certaines grandes villes, il convient de réfléchir à une solution nationale plutôt que de continuer à jouer à un jeu dont les règles ont été définies par la droite pour l’intérêt de ses clients.