Au commencement était le matriarcat

8 mars • Le patriarcat n’est qu’une des formes possibles de l’organisation de la société au fil de l’histoire de l’humanité. La députée du Parti du Travail, Salika Wenger, nous livre quelques pistes, réflexions et enjeux liés au matriarcat.

Mosaïque romaine montrant un cavalier (hippeus) en combat contre une guerrière amazone à cheval. (Jacques Mossot)

L’hypothèse d’un matriarcat originel ayant précédé le patriarcat est apparue en Europe au XIXe siècle. Elle a été explorée et développée par le sociologue suisse Johann Jakob Bachoffen (1815-1887) puis reprise par des féministes. Elles y voyaient une réhabilitation du pouvoir féminin mis à mal par le Code Napoléon (1807). L’étude des mouvements sociaux du XIXe siècle montre que c’est essentiellement la bourgeoisie d’alors qui a mis ce code en pratique.

D’après l’analyse à la fois des mythes en vigueur dans l’Antiquité, et les traces mémorielles de ces sociétés, Bachoffen conclut que le matriarcat fut la forme d’organisation sociale originellement dominante. Il va plus loin en supposant que ces gynécocraties (régime politique dans lequel le pouvoir est exercé par des femmes, ndr) se sont montrées violentes et guerrières.

La répartition, clé de l’organisation sociale

Est-ce réel, ou seulement plausible? Il n’y aurait pas de traces écrites laissées par ces sociétés. On sait en revanche que dans les tombes datant de la préhistoire, femmes et hommes étaient enterrés avec les mêmes honneurs, signe d’une forme d’égalité de reconnaissance claniques. La répartition des rôles existait-elle? Les membres des clans étaient-ils répartis en hommes chasseurs de gros gibier (puis guerriers) et femmes cueilleuses et chasseuses de petit gibier? Une forme de répartition est certaine puisqu’elle tient à la différence biologique fondamentale des sexes: les femmes portaient les petits, accouchaient et en principe les nourrissaient.

Une telle activité est-elle compatible avec un matriarcat guerrier? Disons que cela ne l’empêche pas, car il y a eu des femmes guerrières et des reines cheffes de guerre. Mais cela ne peut s’être installé durablement. Ceci à cause du risque encouru par l’espèce, si les femmes meurent à la guerre, la reproduction s’achève. De plus, il y a moins besoin quantitativement d’hommes que de femme pour la reproduction de l’espèce. Ainsi un homme peut féconder des dizaines de femmes dans l’année alors que la femme n’accouche que d’un enfant possiblement prématuré. N’était-ce la consanguinité, un seul mâle suffirait donc à féconder un clan de femelles.

Adhésion en question

S’il y a un matriarcat à l’origine de nos sociétés, on peut se demander pourquoi il a disparu. Les quelques organisations matriarcales actuelles, comme les Moso en Chine, ne laissent aucune vraie place aux hommes. Ceux-ci sont exclus de
tout héritage et même de l’espace familial.

L’homme géniteur n’est ici qu’une réserve interchangeable de sperme. Il est sans place ni rôle dans la communauté, puisque la notion de père est ici inexistante. Mais les hommes y adhèrent. C’est donc aussi leur choix, de même que les femmes ont adhéré à la forme patrilinéaire – fondée sur la seule ascendance paternelle relativement à la filiation, l’organisation familiale et sociale d’un groupe, ndr – de notre organisation sociale.

Spécialisation ou non?

Cette différence biologique (sexuelle) fondamentale a possiblement marqué et préparé les rôles sociaux et la définition des genres, lesquels sont comme le versant culturel du biologique, ou l’étape éducative de la réalité psycho-corporelle. Le sexe construit le genre, puis le genre fait évoluer la fonction sociale du sexe.

On peut comprendre que la société choisisse des formes qui lui conviennent et assurent au mieux d’abord sa pérennité et ensuite la satisfaction de ses membres. Quelle qu’elle soit une société a besoin d’une organisation. La différenciation, puis la spécialisation et la répartition des fonctions, font partie de toute forme d’organisation sociale, économique. Dans son aspect le plus basique, la différenciation concerne la reproduction sexuelle. Dans les sociétés humaines, elle est devenue plus complexe.

La question de l’organisation sociale matriarcale ou patriarcale est à considérer d’abord sous l’angle d’une différenciation et spécialisation utile au développement du groupe social et de l’espèce. Son évolution est liée aux conditions historiques, économiques et culturelles. Ainsi après la Renaissance pendant laquelle les femmes ont perdu du pouvoir , le XVIIe siècle a vu une importante féminisation de la société, avec des hommes à perruques, poudrés et en habits moins virils. Puis la Révolution et le XIXe siècle auraient dû être des époques favorables aux femmes. Ce ne fut pas le cas.

Pour conclure, il existe de fortes présomptions que les premières sociétés organisées aient été matriarcales. Aujourd’hui, des résurgences de ces sociétés se rencontrent dans le monde. En Afrique, Asie et Europe, il existe ainsi des groupes matrilinéaires qui portent en eux un certain nombre de règles issues de ces sociétés matriarcales anciennes. Le propos n’est toutefois pas de revenir à ces sociétés antiques. Mais de rappeler que le patriarcat n’est qu’une des formes sociétales possibles.