Paroles de femmes émancipées

8 mars • A la veille de la journée internationale des femmes, plusieurs membres de la génération «Y», nées entre 1980 et 2000, sondent le sens de cette manifestation. Que pensent-elles de cet événement, de ce qui l’entoure et de ce qui serait, selon elles, primordial de réaliser en matière d’égalité des droits?

Représentation murale de "Rosie", iconographie de l'ouvrière de la marine américaine de 1943, symbolisant l'implication des femmes dans l'effort de guerre, puis à partir des années 80 les combats féministes. (DR)

Ines Marthaler, présidente des Jeunes POP  Fribourg

Pourquoi est-ce nécessaire d’avoir une journée internationale des droits des femmes? Ceux-ci ne devraient-ils pas être respectés durant toute l’année? Et pour celles/ceux qui prétendraient qu’il faut bien commencer quelque part, les droits des femmes sont-ils plus respectés le 8 mars? Je suis peut-être pessimiste, mais il me semble qu’il s’agit surtout d’un prétexte: ce jourlà, nous nous rendons compte des injustices et le reste de l’année, pas le temps pour ces préoccupations. Sauf que le reste du temps les femmes continuent d’être payées moins que leurs collègues masculins et continuent d’être engagées pour leur physique plus que pour leurs capacités. Le reste de l’année, les femmes continuent d’être le deuxième sexe, celui qui est invisibilisé autant dans son travail, que dans notre imaginaire et nos représentations collectives – merci la langue française.

Le 8 mars, on redécouvre que la moitié de la population suisse est «femme», 50.4% selon le site de la Confédération. Alors au-delà du débat de la binarité des sexes, pourquoi a-t-on besoin d’une journée en particulier pour nous rappeler que les femmes sont bien là et qu’elles ont des droits.

La journée internationale des droits de la femme pose aussi d’autres problèmes: qu’en est-il des minorités, qui sont elles aussi invisibilisées au quotidien, mais ne se reconnaissent pas dans l’appellation de «femme»? Pour moi, ces oppressions sont les conséquences d’un système complexe de dominations. Homme-femme, certes, mais aussi dominations de classe, d’origine, de langue et j’en passe. Alors on fixe un jour pour les femmes, un jour pour les réfugié.e.s, on fait des actions symboliques, on en parle, on y pense. A dates fixes. Que se fasse donc le 8 mars! Tous les jours, pour tou.te.s les opprimé.e.s.

Alexandra*, étudiante à l’Université de Genève

Le 8 mars, selon l’ONU et la communauté internationale qui la constitue, est la journée internationale des droits des femmes et vise la réduction des inégalités hommes-femmes. Mais de quels droits parle-t-on? Qu’implique réduire les inégalités comme le souhaitent tant les dirigeant.e.x.s? Cette appellation – et surtout les «solutions» proposées par cette communauté me paraissent décevantes à plusieurs égards.

Au niveau discursif, parler de droits et d’inégalités ne contribue qu’à lisser les rapports de pouvoir qui les composent. Pourquoi ne pas parler de patriarcat, de systèmes d’oppression et de vies dignes; c’est-à-dire, user de termes qui ramènent la conflictualité et le pouvoir au cœur du débat? Il ne s’agit pas seulement de se limiter à l’obtention de droits civils – aux yeux du système légal qui nous le savons, codifie les intérêts des dominant.e.x.s – mais de nous émanciper en détruisant le pouvoir patriarcal qui nous oppresse.

Quant à leurs moyens d’action, j’ai de sérieux doutes sur leur efficacité. Leurs politiques du haut, non consenties et mises en œuvre main dans la main avec les multinationales et la finance permettent-elles une réelle réduction des inégalités hommes/femmes, financières et «raciales»? Ou au contraire, ne serait-ce pas qu’une mascarade pour ne pas se voir dépasser par les revendications populaires, ou autrement dit du pinkwashing? Il me semble important de souligner que cette journée ne doit pas seulement être une célébration passive de la réduction des indicateurs d’inégalités. Cette journée sert plutôt à donner de l’espace et de la visibilité aux luttes féministes. Elle permet l’organisation politique afin de décider nous-même pour nos corps et pour nos vies qui nous appartiennent. Et ce, dans le but de détruire ce qui nous tue.

Oui, car le sexisme tue, le capitalisme tue, le racisme tue. Ne le voyez-vous pas? La police tue les personnes noir.e.x.s, le patriarcat tue nos sœurs et le capitalisme tue ses propres ouvriers et ouvrières et ils nous proposent de «réformer» un système en pleine crise de légitimité? N’oublions pas les origines socialistes de cette Journée de luttes. Une proposition alternative non onusienne est de parler de Journée internationale des luttes féministes. Outre le fait que cette appellation permet l’inclusion des différentes identités de genre (meufs, personnes trans, non binaires et intersexes), elle met également en avant les luttes populaires passées et futures. Lors de cette journée internationale des luttes féministes, il ne s’agit pas seulement d’inégalités, mais de patriarcat. Nous ne cherchons pas à le réduire, mais à le détruire. Et même si cette journée est d’importance non négligeable, n’oubliez pas, le sexisme c’est tous les jours et les féminismes aussi. Pour un futur digne, on se lève et on se casse … dans la rue.

Suzanne, artiste, à propos de ce qu’il serait primordial de réaliser

Au-delà de l’égalité salariale, je dirais un changement dans l’éducation des nouvelles générations pour prendre le contre-pied de certaines pensées limitantes que les femmes ont elles-mêmes intégrées dans la manière de penser leur vie.

Il faut aussi mettre en place un vrai dialogue entre les différentes identités sexuelles et de genre et arrêter le cloisonnement, d’un côté comme de l’autre.

J’espère le moment où ce débat sera public et constructif, au sens où il ne sera plus dominé par des émois intimes à chacun.e (bien que pleinement compréhensibles!). J’attends le moment où l’on sera moins dans l’affect et plus dans le faire autrement, mais ce sont des choses qui ont besoin de beaucoup de temps, je crois.

De la parole aux actes

Parmi les personnes interrogées, certaines réponses, bien que plus brèves, soulèvent des enjeux majeurs à propos desquels il ne manque vraisemblablement que la mise en œuvre. Ainsi, Sara*, demande, «Moi, je veux avoir congé le premier jour de règles.» A quoi Camille* ajoute, «[un] congé parental, le remboursement de la contraception et éventuellement… un salaire égal». Et si on passait aux actes, citoyen.ne.x.s?

*Prénoms fictifs