Les effets du coronavirus sur la vie des femmes

La chronique féministe • Déjà qu’en temps normal, les femmes consacrent 3h30 par jour aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes, selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Le coronavirus ne va certainement pas faire avancer la cause des femmes!

En décembre, j’avais réservé deux billets de TGV pour Paris, où me reçoit une amie. A cause des grèves, je les ai reportés du 9 au 13 mars. Nous avons encore pu sortir, aller au restaurant, dans des musées (notamment à la Porte dorée, où se tient l’exposition «Exhibition[niste]» sur les chaussures délirantes de Christian Louboutin, magnifiquement présentées, des pas qui conduisent au rêve), au théâtre (Fabrice Luchini interprète des portraits et autoportraits, un régal; Le système Ribadier de Feydeau, avec Patrick Chesnais et la sublime Valérie Karsenti). Je n’avais jamais vu Paris si peu fréquenté, l’avantage, c’est qu’il y avait de la place partout. Ayant réservé mon voyage en janvier, je n’avais pas pensé au coronavirus, qui semblait cantonné à la Chine, depuis décembre 2019. L’épidémie touche aujourd’hui plus de 90 pays. C’est seulement le 11 mars 2020 que l’OMS a déclaré que l’épidémie due au Covid-19 était devenue une pandémie.

A Paris, dans les rues, on voyait de rares personnes avec un masque. Nous avons donc vécu normalement, même si un tiers des places restaient vides dans les théâtres et que les restaurants étaient quasiment déserts. J’avais choisi de revenir vendredi 13, parce que j’avais réservé 3 spectacles le samedi. Mais voilà qu’en France et en Suisse, après d’autres pays, le gouvernement annonce des mesures strictes: annulation des concerts, pièces de théâtre, manifestations sportives, réunions publiques, fermeture des écoles dès lundi 16 mars, jusqu’à une date indéterminée.

Dans le TGV, retenu durant une heure à Bellegarde à cause d’un «problème de signalisation» (en fait, des câbles vandalisés, d’après un voyageur qui est allé se renseigner), je me dis que j’ai eu de la chance d’avoir choisi cette semaine, la dernière avant le confinement. Fabrice Luchini, en entrant sur scène, disait qu’il avait résisté aux Gilets jaunes, aux grèves des transports et, pour le moment, au coronavirus: il faisait salle pleine depuis des mois. Mais mercredi 11, il y avait déjà 50 personnes sur 300 qui n’étaient pas venues. «On s’en fiche, ils ont payé!» a conclu Luchini. Désormais, il devra lui aussi rester à la maison.

Le chauffeur de taxi, à Genève, se plaignait qu’il ne travaillait presque plus, que l’annulation du Salon de l’automobile avait été une catastrophe. J’ai de l’empathie pour les organisateur-trices d’événements culturels et sportifs. En ouvrant mon ordinateur, j’ai appris que le Printemps de la Poésie, auquel ma maison d’édition participe, est aussi touché, mais qu’il est prolongé du 4 avril au 4 juillet. On empiétera sur l’été… Mon auteur JeanNoël Cuénod, qui devait lire des extraits de Qui a éteint le feu? à l’HEAD James Fazy, devra ronger son frein, comme la danseuse qui devait intervenir. Notre directeur de chœur nous annonce que les répétitions sont suspendues, au moins jusqu’à fin mars. Ma prof de yoga annule ses cours.

Nos quatre conseillers fédéraux, Simonetta Sommaruga, Karin Keller-Sutter, Alain Berset, Guy Parmelin, arboraient des visages graves, lors des nouvelles télévisées de vendredi soir, aussi graves que les mesures que le Conseil fédéral a décidées. La pire étant la fermeture des écoles, au moins jusqu’au 4 avril. A la retraite, je ne suis plus concernée, mais je pense aux parents d’enfants en bas âge, qui ne peuvent pas rester seuls. Comment faire quand on travaille? Cette situation est d’autant plus difficile qu’il est contre-indiqué de les confier aux grands-parents, sujets particulièrement à risque, dont je fais partie. Cela doit être un casse-tête pour la majorité des travailleurs, travailleuses, surtout pour les 200’000 familles monoparentales (une famille sur 6), dont 80% sont gérées par une femme. On parle de chômage technique. Si les patrons se montrent souples, les parents pourront diminuer leur horaire et, si c’est possible, organiser le télétravail. Mais beaucoup de professions ne le permettent pas. A l’évidence, le travail partiel touchera davantage les femmes que les hommes. Certaines pensent déjà à prendre un congé non payé. Mais la plupart des cheffes de familles monoparentales ne pourront pas se le permettre financièrement.

Les cours seront donnés par les enseignant.e.s, via Internet. Il faudra gérer l’exposition des enfants aux écrans, définir des tranches et travail et de loisir, aider à faire les devoirs… En-dessous de 10 ans, les enfants demandent une présence soutenue. Difficile d’associer télétravail et garde des enfants. Peut-être que cette situation exceptionnelle favorisera la solidarité, que des mamans s’occuperont des enfants des autres, notamment celles qui «ne travaillent pas», mais restent à la maison.

L’organisation familiale reposera davantage sur les épaules des femmes que sur celles des hommes. Déjà qu’en temps normal, les femmes consacrent 3h30 par jour aux tâches domestiques, contre 2h pour les hommes, selon l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques). Le coronavirus ne va certainement pas faire avancer la cause des femmes!

On conseille fortement aux personnes de plus de 65 ans de ne sortir que si c’est nécessaire. Pour s’approvisionner, je suppose, se rendre chez le médecin, à la pharmacie, mais il ne faut surtout pas encombrer le service des urgences. Les hôpitaux craignent qu’il y ait une pénurie de soignant.e.s. Au HUG, 63% des infirmiers, infirmières, aide-soignant.e.s viennent de France. Je ne comprends pas pourquoi on n’en forme pas davantage à Genève. D’autant qu’on prévoit une pénurie, d’ici à 2025, 40% des infirmiers et infirmières manqueront, selon une étude de l’Observatoire suisse de la santé (OBSAN). Précisons, sans surprise, que 85% du personnel infirmier est constitué de femmes, alors que les postes hiérarchiques sont détenus entre 70 et 80% par des hommes. Pourtant, on dénombre autant de femmes que d’hommes médecins à l’heure actuelle.

Je souhaite bien du courage aux femmes, principalement, qui devront faire preuve de créativité, encore plus que d’habitude, pour concilier garde des enfants et travail. Espérons que cette période particulièrement troublée suscitera aide et soutien de la part des hommes.

Et pour les personnes confinées chez elles, quelques suggestions: faire les rangements qui attendent depuis des mois (ou plus!), rattraper les journaux en retard, lire enfin les livres mis de côté sur un rayonnage, téléphoner aux ami.e.s…