Luttes de classes en temps de crise

Suisse • Les mesures contre la propagation rapide du virus ont paniqué le monde du travail: employés, employeurs et indépendants contactent alors les syndicats et veulent des réponses à leurs légitimes questions.

« Je dois garder mes enfants et ne peux pas me rendre au travail, estce que j’aurai encore droit à mon salaire?», «Mon employeur n’applique pas les mesures d’hygiène, j’ai peur d’aller travailler», «Je dois prendre sur mes vacances alors qu’il m’a été demandé de rester chez moi». Suite aux mesures fédérales du 16 mars, le Syndicat Unia Neuchâtel instaure des permanences téléphoniques élargies, et les combinés n’arrêtent pas de sonner. Dans l’urgence, les réponses doivent être précises et incontestables malgré les flous juridiques. Même au téléphone, l’inégalité de traitement est flagrante: les cadres et directeur.trice.s d’entreprise restent chez eux, laissant au front les employé.e.s au bas de l’échelle. Si certaines entreprises décident d’ellesmêmes de fermer leurs portes, une grande partie continue comme si de rien n’était car seul un aménagement du travail leur est demandé. La Confédération a en effet tout arrêté la semaine dernière- sauf le travail.

Garde-fous d’une économie

De ce fait, les chantiers sont toujours en activité malgré les risques élevés de contamination dus à la promiscuité dans les cabanes et les véhicules, les travaux effectués à plusieurs et le contact avec parfois plusieurs centaines d’autres employé.e.s sur un même site. Seuls les cantons de Vaud, de Genève et du Tessin ont arrêté les chantiers suite aux demandes conjointes des syndicats et associations patronales. Et ceux-ci se voient maintenant demandé de faire marche arrière par la Confédération, qui estime qu’une telle décision n’est pas du ressort des cantons…

Les mesures d’hygiène prescrites sont également difficiles voire impossibles à garantir dans les commerces alimentaires et les pharmacies, en contact constant avec les client.e.s et les collègues souvent déjà porteur.euse.s du virus.

Dans les aéroports, où la transmission du virus est particulièrement aisée, certains employé.e.s sont toujours en fonction. Des cas avérés ont été décelés parmi le personnel de l’Aéroport international de Genève, où le SSP a demandé l’arrêt du travail sous menace de grève générale.

Les industries du tabac, de l’horlogerie ou du café (entre autres) n’ont pas été contraintes de clore leurs portes, malgré les hangars de production où des dizaines voire des centaines de personnes sont amenées à se côtoyer chaque jour. Plusieurs entreprises ont tout de même fermé de leur propre chef, ou adapté les conditions de travail.

Les conséquences de ces activités maintenues se reportent évidemment sur le personnel médical et hospitalier, déjà dépassé et en manque de matériel adéquat. Par son inaction dans le domaine, notre gouvernement tente d’abaisser au minimum l’impact économique de cette crise sanitaire. Les autorités fédérales font porter aux employé.e.s la responsabilité des pertes économiques, mettant en danger leur santé et prolongeant la durée de l’épidémie.

Agir ensemble, mission possible

Malgré cela, le mot d’ordre est devenu «solidarité». Faire les courses pour ses voisin.e.s si l’on est en bonne santé, ne pas se réunir, se tenir à distance… Par solidarité. Dans notre société extrêmement individualiste, il nous est donc soudainement demandé de penser aux autres – mais toujours à un niveau individuel. Où est la solidarité du Conseil fédéral envers les travailleur.euse.s qui se tuent déjà à la tâche en temps normal, et doivent maintenant continuer en dépit des risques? Il est de la responsabilité de notre gouvernement d’arrêter immédiatement toute industrie non vitale, et d’instaurer des mesures de quarantaine globales.

Malgré l’urgence de la situation présente, il nous faut également penser à l’avenir et anticiper les mesures qui viseront à pallier les pertes économiques: licenciements collectifs, augmentations des assurances sociales ainsi que des primes d’assurances maladie seront certainement au programme. Les travailleur.euse.s de ce pays paient déjà cette pandémie de leur santé. Il est hors de question qu’ils.elles prennent également en charge les coûts qui les accompagnent.

En tant qu’employé.e.s, nous avons su nous adapter. Nous nous sommes organisé.e.s entre voisin.e.s et au travail, avons créé des permanences en ligne ou par téléphone, avons constitué des cours et des groupes d’entraide virtuels. Nous avons pu constater qu’il est possible d’agir ensemble, rapidement. Après cette crise, il sera nécessaire de garder cet état d’esprit. Nous devons mener cette lutte commune sur nos lieux de travail, pour pousser notre gouvernement à intégrer notre valeur et améliorer nos droits.

Mettre un arrêt aux procédures d’asile pendant la pandémie

Récemment, le secrétaire d’Etat aux migrations Mario Gattiker a annoncé via une interview dans le Blick la suspension des auditions d’asile pendant une semaine, le temps d’équiper les salles d’audition de parois en plexiglas pour protéger les participants d’une contamination par le coronavirus. Pour rappel, une audition d’asile réunit au moins cinq personnes (requérant d’asile, auditeur, juriste, interprète et procès-verbaliste) dans une petite salle, et cela pendant plusieurs heures.

Cette situation choque les organisations d’entraide qui en appellent à une suppression des procédures d’asile durant la progression du Covid-19 en Suisse. «L’énergie professionnelle des médecins est actuellement mobilisée pour soigner les malades, dépister les cas sévères et communiquer avec la population. Il est impossible pour eux de répondre aux demandes du SEM de rédiger des rapports médicaux. Or, l’établissement des faits médicaux est une des tâches fondamentales de l’autorité dans la procédure d’asile », relèvent conjointement Solidarité sans frontières, Amnesty International, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés ou la Conférence romande des permanences juridiques pour requérant.e.s d’asile (COPERA).

Ils constatent aussi que le droit à un recours effectif n’est pas garanti, de nombreux bureaux de conseil juridique ayant dû fermer pour contribuer à l’effort collectif de lutte contre l’expansion de la pandémie. «Protéger les requérants d’asile, c’est aussi protéger l’ensemble de la population», estiment-ils, en demandant que toute la procédure d’asile soit stoppée jusqu’à la fin de la situation d’exception.
Réd.