La Suède à l’époque révolutionnaire

Livre • «1793» de Niklas Natt och Dag, un passionnant roman social et un phénomène d’édition dans le monde scandinave.

Le livre est d’abord un roman policier, qui s’inscrit dans l’Histoire. Dans l’eau saumâtre et remplie d’immondices du lac Fatburen, sur l’une des îles qui constituent Stockholm, on retrouve le corps, atrocement démembré, d’un inconnu. L’enquête va être menée par Cecil Winge, un homme de loi intègre, atteint de tuberculose au stade final, avec l’aide de Jean Michael Cardell, vétéran de la guerre russo-suédoise où il a perdu un bras, et qui est devenu une sorte de garde civique, souvent imbibé d’alcool.

Dans ce sens, le livre est un thriller, qui comporte d’ailleurs des scènes très dures. Ames trop sensibles s’abstenir. Au-delà des péripéties qui tiennent le lecteur en haleine, l’auteur se livre à une réflexion sur le Bien et le Mal, en montrant qu’ils ne sont pas totalement antinomiques et que des circonstances particulières peuvent transformer un être humain en un monstre.

Impressionnante fresque sociale

Mais l’intérêt principal du roman n’est pas là. Celui-ci constitue surtout une magistrale fresque sociale de la Suède, à un moment particulier de son histoire. L’année précédente, en 1792, le roi Gustav III a été assassiné par une conjuration de nobles, et cela lors d’un bal masqué, qui inspirera l’opéra éponyme de Giuseppe Verdi. Le pays connaît une vacance du pouvoir et de sombres complots pour s’emparer de celui-ci. Et les échos de la Révolution française résonnent jusque dans la lointaine Scandinavie. En 1793, on apprend d’ailleurs l’exécution de la reine Marie-Antoinette.

La Suède, si l’on excepte une minorité de nobles et de riches bourgeois, est alors un pays misérable. La crasse est partout. Les rues servent de latrines. L’alcoolisme règne dans les milieux populaires, où l’on ne mange pas toujours à sa faim. C’est d’ailleurs un bourreau toujours ivre qui procède aux décapitations à la hache, pour lesquelles il doit s’y reprendre jusqu’à cinq fois!

Beaucoup de femmes dans le besoin s’adonnent à la prostitution. Mais les pasteurs de l’Eglise luthérienne veillent. Les prostituées, les mendiantes, les femmes «débauchées» sont soumises au travail obligatoire dans une filature, où sévit un véritable esclavage sous le fouet. Les guerres, notamment celles qui opposent la Suède à la Russie, saignent le pays et laissent de nombreux estropiés. Les magistrats sont, pour la plupart, corrompus. Bref, Niklas Natt och Dag dépeint une Suède qui était alors bien éloignée de «l’Etat provi- dence» qu’elle est devenue depuis que les socialistes ont accédé au pouvoir en 1931. C’est probablement cette peinture impitoyable de ce que fut le royaume qui a tant frappé le public suédois, et au-delà. A propos de ce livre, The Times n’hésite pas à parler d’«un véritable ouragan sur le monde littéraire!».

Seul petit bémol: le roman fait référence à de nombreuses rues et places de Stockholm, bien connues de ses habitants, mais pas nécessairement du public étranger. Certes, une carte sommaire de la ville en 1751 figure dans le livre. L’auteur, qui porte le curieux nom de Natt och Dag (ce qui signifie littéralement «Nuit et jour», en lien avec les armoiries de la famille) appartient à la plus ancienne noblesse suédoise. 1793 est son premier roman, qui laisse bien augurer du suivant!

Niklas Natt och Dag, 1793, Paris, Editions Sonatine, 2019, 442 p.