Un regard étranger sur Genève

Livre • Une Savoyarde d’origine évoque la cité de Calvin et celle des grandes organisations internationales.

C’est à un Vaudois qu’échoit le compte rendu du livre Genève Emois de Marie- José Astre-Démoulin, née en Haute Savoie, sur les bords du lac Léman, mais aussi citoyenne du monde, du fait de ses missions pour l’ONU dans quinze ou vingt villes différentes situées sur trois continents. Et puis l’auteure dit être «tombée amoureuse de Genève», où elle vit depuis dix ans. Quadruple regard donc…

Lieux et atmosphères

Par une série de courts récits, l’auteure évoque un certain nombre de lieux et surtout d’atmosphères, tels qu’elle les a perçus. Le titre du livre pourrait donc aussi se lire «Genève et moi». Mentionnons le Théâtre-cinéma-restaurant du Grütli pour son ouverture culturelle et ses spectacles parfois un peu ésotériques, l’imposante masse de la cathédrale, la gare de Cornavin, le cimetière des Rois où repose notamment la prostituée-peintre-écrivaine Grisélidis Réal.

Dans un beau texte intitulé «Gris gris», elle saisit bien l’ambiance de Genève, le «gris sage des bâtiments alignés le long des quais», à l’instar de ceux de Lyon, autre métropole commerçante et bancaire, ses brumes, ses ciels «de plomb et de coton». Tout cela compose une «symphonie de gris tendres, de gris liés, crémeux, laiteux, amoureux», qu’illumine la flambée des couleurs d’automne, avant de recouvrer «le manteau gris de cette ville secrète». Genève, cité du bout du lac. L’auteure éprouve un véritable amour pour ce Léman qui unit la Savoie et Genève. Un lac qui peut susciter des pulsions suicidaires et en même temps le désir de vivre.

Contrastes entre les rives

L’un des aspects les plus intéressants de l’ouvrage est l’opposition que met en valeur Marie- José Astre-Démoulin entre la Rive gauche, sur- tout la Vieille Ville, celle des «vrais» et vieux Genevois, et la Rive droite, sorte de «bulle» largement occupée par les grandes institutions internationales, multinationales, où il y a donc peu de «vrais Suisses» et où tout s’échange dans une sorte d’anglais basique. Elle connaît bien ce monde de l’intérieur, pour y avoir longtemps travaillé comme haut fonctionnaire de l’ONU.

Sa vision de ce monde à part est ambivalente. Si elle critique les défauts et les pesanteurs de l’administration onusienne, les privilèges parfois indus de ses hiérarques, elle rend aussi un vibrant hommage à une institution certes imparfaite, mais dont les nobles missions sont la contribution au maintien de la paix, la lutte contre la pauvreté et la promotion de l’égalité entre les sexes. Elle s’érige contre les critiques injustes envers l’ONU, quand elles proviennent de personnes qui n’en connaissent rien.

La Rive gauche en revanche, du moins dans sa partie ancienne, est considérée comme «sombre et secrète», repliée sur elle-même. Après dix ans de vie à Genève, l’auteure confesse: «Je n’ai toujours pas pénétré dans un foyer suisse». C’est sans doute sa plus grande déception envers une ville à l’égard de laquelle elle ressent un véritable amour.

Un autre aspect intéressant du livre est l’analyse des rapports ambigus entre ces voisins lacustres que sont les Genevois et les habitants de Haute-Savoie. Ils se côtoient mais ne se connaissent guère. De surcroît, l’Histoire a
contribué à une inimitié réciproque (l’Escalade!). Celle-ci, de la part des Genevois, est souvent teintée du mépris envers ces «parents pauvres» qui travailleraient de façon bâclée. Sans parler du ressentiment vis-à-vis des travailleurs frontaliers dont les voitures envahissent la ville. Mais l’auteure incrimine aussi l’enseignement de l’Histoire républicaine qu’elle a reçu, trop franco- français et ignorant des spécificités locales savoyardes. On ne lui a jamais dit, par exemple, que sa terre n’est française que depuis 1865…

Si ce livre est une déclaration d’amour à Genève, où Marie-José Astre-Démoulin a choisi de vivre, celle-ci n’est pas dénuée d’esprit critique. Mais ces réserves s’expriment plutôt à travers l’humour que par des récriminations. Tout Genevois devrait lire ce petit livre, où il se reconnaîtra ou non. Ce n’est pas à un Vaudois, autre voisin avec lequel les Genevois entretiennent des relations ambiguës, et vice versa, d’en juger…

Marie-José Astre-Démoulin, Genève Emois. Récits, Perly, Editions des Sables, 2019, 127 p.