Hommage au peintre Pietro Sarto

Beaux-arts • Une exposition anniversaire consacrée à l’artiste à l’occasion de ses 90 ans a dû être interrompue à cause du Covid-19.

Sarto peint de magnifiques paysages, qui relèvent d’une sorte de (sur)réalisme poétique. (DR)

Exceptionnellement, nous allons présenter ici une exposition à l’Espace Arlaud, à Lausanne, qui devait être ouverte jusqu’au 26 avril, mais qui a été fermée avant terme pour cause de pandémie, et n’a pas pu être prolongée. Nous avons eu la chance de la visiter avant son interruption. Elle avait été organisée en hommage au 90e anniversaire du peintre, que l’on fêtera prochainement.

Espérance révolutionnaire

Pietro Sarto (de son vrai nom Pierre Schneider) est né à Chiasso le 13 juin 1930. Il se souvient que la ville tessinoise était alors infestée de fascistes italiens, qui fêtèrent par exemple bruyamment la conquête de l’Abyssinie. La famille a déménagé ensuite à Neuchâtel puis à Lausanne. Le jeune homme a quinze ans à la fin de la guerre. Comme beaucoup d’autres, dont son ami Freddy Buache, il vit dans l’espoir d’une révolution. Il adhérera d’ailleurs au POP, dont il démissionnera après les exclusions au sein du parti en 1969. A vrai dire, cet engagement politique n’apparaissait que marginalement dans l’exposition, à travers un tableau qui semble fortement influencé par le réalisme de Courbet, L’Arabe assassiné, datant de 1956, et qui fait certainement allusion à la guerre d’Algérie. On songe aussi au maître d’Ornans face à un magnifique Nu mettant en scène deux corps féminins.

A Paris, où il séjourne dès 1950, il se passionne pour les problèmes de la perspective. La perspective «œil de poisson», qui élargit la vision, ainsi que la «camera obscura» (chambre obscure) utilisée par les peintres de la Renaissance, permettent de mieux comprendre l’univers si particulier de ses tableaux, où la réalité est renversee.

L’Espace Arlaud a exposé une série de ses magnifiques paysages de Lavaux, qui relèvent d’une sorte de (sur)réalisme poétique, à l’instar des tableaux de Giorgio de Chirico ou de Giorgio Morandi qu’il admire.

Immersion dans le paysage

Mais en même temps, Sarto peint des lieux bien reconnaissables, avec des détails très concrets: le château de Chillon, le bourg de Lutry, les vignobles en terrasses abruptes. Il s’agit donc d’un art figuratif, mais qui remet en question la perspective classique, soi-disant «objective». Le spectateur n’est plus face au paysage, il est dans le paysage, comme Sarto le dit dans le film de Plans-Fixes réalisé en 2013 avec pour interlocuteur Freddy Buache. C’est un peu la vision qu’aurait un aviateur ou un oiseau qui tournoierait dans l’espace. On a été sensible aussi au superbe traitement de ses ciels, nuageux, où l’artiste joue avec les nuances de gris et des bleus éthérés, qui rappellent la peinture baroque.

D’ailleurs Sarto, qui a beaucoup appris en visitant inlassablement le Louvre, ne récuse pas les leçons du passé. Et en restant fidèle à l’art figuratif, il entrait en résistance contre toute une tendance dominante de l’art contemporain ne jurant que par l’abstraction.

Maître de la gravure

L’artiste est aussi reconnu comme l’un des maîtres actuels de la gravure. Une salle lui était consacrée. Mais surtout, au rez-de-chaussée de l’Espace Arlaud, de nombreux visiteurs ont pu découvrir ses natures mortes, moins connues. Moralité: il ne faut pas attendre les derniers jours d’une exposition pour aller la voir…

Dans Vanitas, où figure un crâne, Sarto reprend un genre très courant dans l’histoire de la peinture, notamment italienne et hollandaise. Et quelle subtilité dans sa représentation des fleurs, particulièrement des roses trémières! Mais là aussi, il joue sur les perspectives: ainsi, on voit la table qui supporte les objets à la fois d’en haut et d’en bas, avec ses pieds dressés «à l’envers». Pietro Sarto a créé un univers pictural qui lui est propre. Si bien que, face à l’une de ses œuvres – et c’est particulièrement vrai pour ses paysages – on pense immédiatement: c’est «un Sarto», comme on dirait «un Ruysdael», «un Bocion» ou «un Vallotton». Nous souhaitons donc à ce grand artiste un heureux anniversaire!