Un Hôpital en crise de confiance

Vaud • En pleine tourmente financière, l’hôpital flambant neuf de Rennaz perd notamment son directeur, dont la démission était réclamée par les syndicats.

L’exercice comptable 2019 du HRC laisse un déficit de 17,9 millions alors qu’il était budgété à 6 millions. (©HRC/Louis Dasselborne)

Rien ne va plus pour l’Hôpital Riviera- Chablais (HRC), inauguré en grandes pompes en septembre 2019 et fruit de la coopération entre les Cantons de Vaud et du Valais? Le 12 mai, le Grand Conseil vaudois a dû approuver dans l’urgence une garantie temporaire de 60 millions s’ajoutant aux 20 millions assumés par le Canton du Valais pour les emprunts bancaires contractés par ce dernier, ainsi qu’une prolongation au-delà du 30 septembre de la garantie temporaire de 45 millions accordée à l’HRC pour son fonds de roulement.

Déroute financière

La situation urge. L’exercice 2019 laisse un déficit de 17,9 millions alors qu’il était budgété à 6 millions. Le budget 2020 est lui aussi déficitaire de 16 millions. De plus, les montants de construction de la structure afficheraient un surcoût de 50 millions, avoisinant les 440 millions. Pour finir, l’HRC aurait contracté un emprunt de 20 millions auprès de banques sans en avertir le Département de la santé. N’en jetez plus! La semaine dernière, son directeur

Pascal Rubin a décidé de remettre son mandat. Comment expliquer un tel déficit? Pour la direction de l’hôpital, deux causes seraient responsables de cet état de fait. «Le déménagement sur le nouveau site de Rennaz, retardé de quatre mois, a impacté négativement les charges et les revenus et les recettes de l’activité hospitalière ont été nettement en-deçà des attentes», tentait de justifier l’hôpital le 29 avril. Il annonçait dans la foulée que des mesures immédiates de diminution des charges avaient été prises. Ainsi une baisse de 2,5% de la masse salariale (avec 2 millions de francs d’économie salariale en 2020 et 3,9 mil- lions en 2021). Pour y voir plus clair, un audit cantonal pour explique l’ampleur du déficit est prévu par les autorités vaudoises.

Incompréhensions de la direction

Du côté des syndicats et organisations professionnelles partenaires de l’Hôpital Riviera Chablais, la confiance avec la direction est rompue depuis longtemps. «Entre 2015, date de la fusion entre les hôpitaux de la Riviera et du Chablais, et aujourd’hui, le personnel s’est réuni plus de 20 fois en assemblées, a transmis plusieurs résolutions à la direction. A chaque fois, celle-ci n’a pas été capable ou n’a pas voulu admettre des revendications simples et vitales pour le bon fonctionnement d’un hôpital», relevait le syndicat SSP dans un communiqué du 26 mai, appelant «à un renouvellement immédiat de la direction responsable de cette dérive autoritaire et inopérante dans la gestion de notre hôpital».

Pédiatre, ancien député et conseiller communal du POP à Aigle, Bernard Borel est voisin du HRC. Il nous livre ses remarques sur l’actuelle situation de l’hôpital valdo-valaisan, tout en relevant sa nécessité pour la population de patients de Riviera-Chablais.

Est-ce que la situation actuelle de l’hôpital était prévisible?

Bernard Borel Il faut d’abord relever que fusionner 4 hôpitaux (Vevey, Montreux, Aigle et Monthey) en un et sur 2 cantons est difficile et cela fait grincer les dents à plus d’un. Le transfert s’est déroulé en novembre 2019 avec 6 mois de retard, délai sur lequel la direction n’avait pas grande responsabilité. Ceci dit, il s’est fait dans une ambiance sereine et dans la douceur pour les patients. L’hôpital a aussi montré son efficacité dans la crise du Covid et a donc répondu aux attentes de la population. Il représente un merveilleux outil au service des gens de la région Riviera-Chablais.

Que pensez-vous du déficit lourd aujourd’hui affiché par la structure et qui fera l’objet d’un audit?

Du point de vue financier, on peut considérer que ce déficit est une maladie de jeunesse, qu’il faudra ajuster. Le budget de fonctionnement du HRC dépasse les 150 millions. Les quelque 20 millions de déficit représente donc 13% du total. C’est loin d’être catastrophique. De même que les 50 millions de surcoût de construction. Ce qui est le souvent le cas quand un projet de cette envergure prend tant de temps à être réalisé. Je ne suis finalement pas inquiet pour l’avenir de cet hôpital. Il va trouver son rythme de croisière dans 2-3 ans, s’il n’y a pas trop d’épidémie de Covid entretemps.
Il faut rappeler que l’occupation des lits et des urgences fait partie des changements d’habitudes des patient.e.s et prend du temps. Dans ces premiers mois, les malades valaisans ont eu tendance à aller à Sion, ceux de la Riviera au CHUV. Dans quelques années, tout sera normalisé. C’est ce qui passé lors de la fusion des hôpitaux d’Aigle et de Monthey en 1999.
Il faudrait aussi parler pour terminer de tous ces médecins, qui ont déserté le HRC parce qu’ils risquaient de moins gagner. Le cas le plus emblématique est celui du néphrologue en chef, qui est parti avec toute son équipe et… ses patients pour créer un centre de dialyse privé dans la région. Et ce, sans réaction ni du gouvernement ni des assurances. Il faut savoir que comme la radiologie, la dialyse est une spécialité «rentable».
Ce déficit est aussi la preuve que concentrer des services de médecine n’est pas moins cher même si on gagne probablement en efficacité pour les soins aigus. C’est un leurre qu’il faut tordre, quoiqu’en pense la droite. Le POP le dit depuis des années.

Ce déficit va aussi avoir des conséquences salariales pour les employée.e.s. Est-ce normal?
Si les services de santé de tutelle doivent s’assurer que la gestion a été correcte, il ne faudrait pas retomber dans la seule logique comptable à peine le confinement terminé, sans la mettre en lien avec le service public que l’hôpital fournit et qui est l’essentiel. Le découvert financier ne doit pas donner des arguments pour «dégraisser», pour diminuer le nombre de lits… et surtout pour ne pas améliorer les conditions de travail.

Qu’en est-il de la direction. Est-ce qu’elle a été à la hauteur?

Pascal Rubin s’est montré trop arrogant (mais face à des médecins qui ne le sont pas toujours moins), peu à l’écoute des demandes infirmières et n’a pas toujours su négocier intelligemment. Il a aussi hypertrophié les directions médicale, administrative, infirmière, technique, en prenant des gens «d’ailleurs», sans savoir trouver des alliés internes. Mais quid du conseil d’administration, où siégeaient entre autres l’ancien chef de service de la santé publique vaudoise et le médecin cantonal valaisan! Pascal Rubin devait partir, mais c’est un fusible facile. Sa plus grosse erreur est d’avoir emprunter 20 millions en début d’année, sans en référer aux chefs des départements de la santé vaudois et valaisan. C’est une erreur politique, mais sans grande conséquence financière, d’autant plus à l’heure du Covid-19, où l’on ne parle plus qu’en milliards!