Un dialogue social sur pied d’égalité

France • Le 24 mai dernier, Philippe Martinez, Secrétaire général de la CGT, était interviewé sur le plateau de LCI face à Christian Saint-Étienne, économiste. Le sujet: les licenciements prévus chez Renault.

Je n’entrerai pas dans le détail du sujet (la «press people» encensant l’ancien dirigeant Carlos Ghosn malgré les déficits, l’aide étatique de plu- sieurs milliards pour une entreprise qui licencie et verse des dividendes, etc.) Par contre, j’aimerais mettre en lumière un élément précis de l’échange entre ces deux personnes. À un moment donné, M. Saint-Étienne nous livre son sentiment. Il dit: «Pourquoi ne nous sommes-nous pas mis autour d’une table, à l’intérieur de l’usine, pour… régler (les problèmes) dans les 24h?… Il y a un problème général de dialogue social… dans notre pays. On n’arrive plus à se parler pour régler les problèmes de manière immédiate»

Un rapport de force caché

Cette phrase illustre une conception du monde bien précise qui repose sur deux éléments. D’une part, nous pouvons discuter entre personnes raisonnables et responsables. De l’autre, il existe une sorte «d’intérêt supérieur» qui prime sur les intérêts de classe opposés. On peut comprendre cette vision. Il semble en effet raisonnable de demander aux deux camps, celui des employés et celui des employeurs, de faire un effort pour sauver leur entreprise.

Cette logique de l’intérêt supérieur est illustrée à merveille dans notre pays par les Conventions Collectives de Travail. Elles sont issues de la volonté des travailleurs comme des patrons de ne pas affaiblir la Suisse des années 30-40 par des conflits sociaux. L’Europe de l’époque était suffisamment inquiétante pour que cet «intérêt supérieur du pays» semble alors prépondérant.

Seulement, derrière cet appel au dialogue raisonnable entre parties, il y a la dissimulation du rapport de force. Peut- on réellement appeler «dialogue», un échange entre des salariés prêts à tout pour garder leur emploi dans un monde de chômage de masse et de paupérisation, et des dirigeants qui ont le pouvoir de les en priver s’ils l’estiment nécessaire ou rentable? À ce taux-là, un Genevois qui cherche un appartement est en «dialogue» avec les gérances.

Danger d’atomisation des luttes

Cette survalorisation du dialogue social que l’on entend partout remplit plusieurs fonctions. Tout d’abord, elle dissimule ce rapport de force en traitant les parties sur un plan d’égalité qu’elles n’ont pas, considérant que tout «dialogue social» est bon sans réflexion sur ses conditions. Ensuite, elle invalide les autres mesures de lutte. Grèves et autres actions visibles, dérangeantes, sont considérées comme des incapacités à «dialoguer», renvoyant ceux qui recourent aux mesures de lutte (en l’occurrence toujours les salariés) à une incapacité à dialoguer quelque peu «infantile».

Enfin, elle diminue la portée des oppositions. La question n’est plus la répartition des richesses et les inégalités de notre société, elle devient celle du «redémarrage de l’usine». À vouloir créer des dia- logues pour chaque conflit, on atomise les luttes et on affaiblit les appareils qui les portent, dont les syndicats et les partis. Le dialogue social doit se faire sur un pied d’égalité. Faute de quoi le résultat qui en ressortira ne sera qu’une concession de la partie en situation de faiblesse.