L’Ukraine en régime postapocalyptique

Cinéma • Dystopie, «Atlantis» interroge un paysage lunaire et un ex-fantassin transporteur d’eau. Pour dire, en plans fixes, la catastrophe environnementale, sociale et humaine dans le Donbass. Glaçant mais non dénué d’espérance.

La fable se déroule dans un avenir proche, en 2025 après une guerre dont les belligérants ne sont jamais cités. (DR)

La scène d’ouverture impressionne durablement la rétine et l’esprit. Vu par drone en images thermiques colorées, un trio de soldats traîne le corps d’un ennemi, l’achève avant de l’ensevelir. On songe alors à ces mots de l’intellectuel américano- palestinien, Edward Saïd: «Il y a un réel contraste entre la violence de l’acte de représenter et le calme intérieur de la représentation elle-même, l’image (verbale, visuelle ou autre) du sujet.»

Désastre multiforme

Réalisé par Valentyn Vasyanovych, Atlantis est une œuvre austère, épurée, à la photographie plasticienne. Volontairement dénué de densité narrative, l’opus avec ces plans immobiles de cinq minutes en moyenne, s’inspire de la détérioration tragique de la qualité de l’eau dans les territoires de l’Ukraine sous tension. La fable se déroule donc dans un avenir proche, en 2025 après une guerre dont les belligérants ne sont jamais cités. Le décalage temporel est suffisamment ténu pour que l’histoire reste suspendue au réel. Soit au lendemain du conflit actuel opposant les forces loyalistes ukrainiennes, les séparatistes et la Russie notamment dans la partie orientale du pays.

Le conflit a aussi engendré un «Tchernobyl chimique» au Donbass. Il est causé par munitions, mines et destructions d’infrastructures qui menacent de rendre la région définitivement inhabitable. Incarné par Andriy Rymaruk, authentique vétéran de guerre, Sergiy est un ex-soldat souffrant d’un syndrome post-traumatique. Il décide de rejoindre une organisation réellement existante, la Mission Tulipe noire. Celle-ci déterre des corps qui n’ont pas eu droit à un vrai enterre- ment, des dépouilles appartenant à des «gens qu’ils ont laissés derrière». Sous une pluie battante accompagnée des deux uniques et lents travellings avant du film, l’homme rencontrera une forme d’amour vitalement incontournable sous désespérance.

Habiter l’inhabitable

Cette zone prochainement invivable pour des décennies voire des siècle selon une spécialiste de la surveillance écologique (ecological monitoring) que Sergiy a sauvée d’une situation périlleuse, en devient alors un paradoxal sanctuaire ou «réserve» pour un couple évoluant sans repères. Solitaires et solidaires, ils participent à identifier les morts exhumés, autopsiés lors d’une séquence clinique et descriptive. Leur donner une sépulture. Ou comment «finir une histoire avec la guerre», comme le confie la jeune femme.

Ce sentiment de profonde appartenance à une terre ravagée semble partagé par nombre des personnes habitant des régions dévastées par la pollution industrielle et les suites délétères des conflits dans les anciens Pays de l’Est. Ou comment survivre avec ce qui vous nourrit et vous tue dans le même mouvement.

Proche parfois de Stalker de Tarkovski, mais sans mystique aucune ni musique, la réalisation évoque en mode mineur la dystopie de George Orwell, 1984, dans sa version filmique due à Michael Radford. Sur écran géant, le dirigeant d’un consortium en mains américaines, pourvoyeur d’emplois pour la zone annonce aux ouvriers une brutale restructuration. Elle prend la forme propagandiste d’une supposée avancée vers l’ère des nouvelles technologies. Une saisissante radiographie de l’Ukraine actuelle.

Atlantis. Cinéma Bellevaux, Lausanne.