«Le Covid-19 est un prétexte idéal pour affaiblir les droits humains»

Bolivie • Le pays vit une double crise. Sanitaire liée à une pandémie n’ayant pas encore passé son pic. Et politique avec un gouvernement transitoire auto-proclamé confronté à des manifestations de la faim. Sous pression, il a fixé des élections générales pour le 6 septembre prochain. Les éclairages de Sonia Brito, députée nationale de Bolivia pour la Paz.

Sonia Brito, (ici avec Evo Morales) députée pour le Mouvement pour le socialisme affirme que son parti s’est résigné à vivre avec le gouvernement de transition ultralibéral pour éviter la guerre civile. (LDD)

Depuis 2014, Sonia Brito est députée pour le Mouvement pour le socialisme (MAS) fondé par l’ancien Président Evo Morales en 1997, démocratiquement élu le 20 octobre 2019 pour un quatrième mandat. Il fut contraint d’abandonner le pouvoir par un coup d’Etat qui ne dit pas son nom au profit d’un gouvernement ultralibéral, répressif et entièrement aligné sur les Etats-Unis. Puis condamné à l’exil aujourd’hui en Argentine. Sociologue de formation, Sonia Brito a travaillé pour l’Assemblée permanente des droits humains durant 20 ans et au sein de la Coordination de solidarité avec les peuples indigènes. Elle a été 2 ans Vice-Ministre de la défense des droits du consommateur. Au Parlement, elle est notamment Secrétaire de la commission des droits humains.

Comment évaluez-vous la situation présente?

Sonia Brito En octobre 2019, un coup d’Etat a utilisé la pseudo-fraude électorale comme prétexte. Depuis plus de 2 ans, une grande campagne médiatique annonçait qu’Evo Morales ne pouvait gagner que s’il organisait une telle fraude. Le gouvernement au pouvoir depuis 14 ans a souffert d’une perte de confiance d’une partie de l’électorat, en particulier dans les secteurs urbains. En 14 ans, on avait pris l’habitude de victoire incontestable, largement au-dessus de 50%. Cette fois, le MAS n’a convaincu que 43% des votants, suffisant pour être élu selon la Constitution. Mais cela a ouvert le champ d’une possible fraude…

A cause de la pandémie, les élections générales prévues le 5 mai ont été repoussées. L’assemblée plurinationale, dominée par le MAS a donné 90 jours au gouvernement de Madame Añez pour les organiser. Où en est-on?

Le gouvernement actuel tire profit de la pandémie pour se maintenir au pouvoir. Et modifier le modèle économique des 14 années Evo Morales, malgré sa réussite saluée à l’international. Ses buts? Céder au privé des entreprises stratégiques comme le gaz et le lithium toujours en mains publiques. Mais aussi affaiblir la monnaie nationale et se mettre sous la dépendance du FMI. Il existe une volonté de détruire les mouvements sociaux paysans, syndicaux ou de défenses des peuples indigènes et à travers eux de fragiliser le MAS, dont c’est la base sociale. Le 23 juin, l’Exécutif a dû accepter de convoquer des élections générales pour le 6 septembre, selon la proposition du Tribunal Suprême Electoral, validée par l’Assemblée législative et appuyée par le MAS. Or, le gouvernement népotique de Mme Añez (aussi candidate à la présidence) a perdu beaucoup de sa crédibilité. Ceci pour quelque 35 dénonciations de corruption. La plus scandaleuse a valu la tête du Ministre de la santé. Soit une surfacturation lors de l’achat de respirateurs pour les soins intensifs, qui se révéleront inutilisables. Même la droite s’en détourne.

Des ONG ont critiqué le gouvernement Morales (premier président d’origine indigène d’Amérique latine) pour son projet d’une route transamazonienne, en particulier dans le Tipnis, parc naturel depuis 1965 et territoire indigène depuis 1990. Votre avis?

Je suis une militante des «peuples originaires» (peuples indigènes autochtones, ndlr), en particulier de la région amazonienne. A diverses fonctions, j’ai œuvré pendant 20 ans pour faire valoir leurs droits. En ce sens, je suis convaincue qu’il faut préserver des territoires indigènes autonomes. Durant ses mandats, Evo Morales a consolidé les droits des peuples originaires et leurs territoires communautaires. Le problème du Tipnis et de la route que le gouvernement voulait construire (et a finalement renoncé aussi longtemps qu’il n’y aurait pas de consensus), a été utilisé par l’opposition et certaines ONG. Et présenté comme une atteinte fondamentale à un écosystème particulier.

La Bolivie est alors apparue prise dans la contradiction entre son positionnement écologiste et indigène et la réalité de sa politique nationale, voulant participer à l’intégration continentale.

L’idée originelle était de désenclaver ces peuples indigènes. Ceux-ci avaient demandé l’élaboration d’un plan de développement durable contrôlé par eux. Ils doivent encore actuellement utiliser les fleuves pour se déplacer, ce qui est lent et très coûteux. C’était donc un service à la population et une manière de rattacher cette région au reste du pays. Cette route devait permettre un accès plus direct à la capitale la Paz sans forcément devoir passer par Santa Cruz. Il faut aussi dire que de nombreuses entreprises privées d’extraction du bois et des «haciendas» de bétail se trouvent déjà sur place. Elles ont réalisé des chemins de pénétration, sans contrôle de l’Etat et personne ne s’en inquiète vraiment.

Le 24 septembre 2011, quelque 1000 marcheurs pacifiques opposés à cette route controversée sont attaqués par des policiers à Yucumo, au pied des Andes. L’opinion publique, bolivienne et internationale, est choquée.

Lors du conflit autour de cette route, la police a agi de manière parfaitement inadéquate et dis- proportionnée, même s’il n’y a eu ni morts ni blessés graves à ma connaissance. D’ailleurs Evo Morales, qui ne contrôlait pas toujours la police, largement gangrenée par l’opposition réaction-naire, et nous tous du MAS, avions condamné ces violences policières révoltantes. Aujourd’hui, on n’entend plus ces mêmes ONG critiquer le gouvernement actuel. Qui pour- tant ne fait rien pour ces peuples autochtones. Ceci en particulier dans le département de Santa Cruz, où la pandémie est la plus virulente. Ainsi ils n’ont pas accès aux soins. Et sont laissés à leur triste sort. On voit l’inefficience de ce gouvernement face à la pandémie, sans parler des détournements de fonds. Cela entraîne un puissant mécontentement de la part d’une grande partie de la population. Ces ONG ne parlent pas des immenses incendies de forêts actuels, pires que ceux qu’ils dénonçaient il y a quelques mois, en accusant Morales d’inaction.

Que pouvez-vous nous dire en relation avec le confinement et les droits humains?

Actuellement, et comme membre de la commission des droits humains du parlement, c’est un sujet qui nous préoccupe beaucoup. Et le Covid- 19 est un prétexte idéal pour affaiblir les droits humains. Il y a des prisonniers.ières politiques, sans parler des exilés, tous d’anciens cadres importants du MAS, retenus dans l’ambassade du Mexique et pour lesquels le gouvernement Añez refuse de donner des sauf-conduits pour quitter la Bolivie.

En outre, on peut évoquer le cas des autorités judiciaires se soumettent aux décisions de ce gouvernement. Et des écoutes téléphoniques des dirigeants du MAS. Les prisons boliviennes sont historiquement précaires, mais avec les détentions arbitraires, sur simple ordre du Ministre de l’intérieur (et ancien assesseur de la CIA) Murillo, la surpopulation carcérale empire dangereusement. D’autant que ce gouvernement n’utilise pas la possibilité d’«arrêt domiciliaire». Ou en exigeant des cautions si élevées que les gens ne peuvent s’en acquitter. Je connais personnellement plusieurs personnes qui sont dans ce cas-là.

Quelle base constitutionnelle a le gouvernement Añez?

C’est un gouvernement auto-proclamé. L’élection de Mme Añez s’est déroulée dans un Parlement où la majorité n’était pas admise, et donc sans le quorum nécessaire. Mais il a eu l’appui de l’armée, de la police et de l’ensemble de l’opposition à Morales. Madame Añez a voulu faire croire à la constitutionnalité de son gouvernement. Or, il n’en est rien. Le MAS s’est résigné à «vivre avec ce gouvernement de transition», pour éviter le risque d’une guerre civile, et avec l’assurance de gagner si de nouvelles élections étaient organisées, même sans la figure emblématique de Morales.

Que peut-on souhaiter de mieux pour le peuple bolivien?

Nous insistons sur l’échéance électorale, qui est la manière de revenir à un Etat de droit, avec un gouvernement légitime et légal, mieux à même faire face aux problèmes liés au Covid-19 et aux enjeux sociaux et économiques. Nous avons confiance en une vraie conscience sociale et populaire convaincue que l’on ne peut pas se fier à un gouvernement néo-libéral. Ces prochaines élections démontreront qu’il n’y a pas eu de fraude en octobre 2019. Le MAS sera victorieux (avec plus de 50%). Il pourra alors poursuivre sa gestion gagnante économiquement, socialement et de manière écoresponsable. La population a pu voir, durant ces quelques mois, quelles étaient les conséquences d’un retour au néo-libéralisme et tout ce qu’elle a à perdre. Nous sommes convaincus qu’il n’y a pas de nécessité de faire campagne, car la population est déjà déterminée.

La solidarité internationale semble plus que jamais nécessaire.

Assurément. On a besoin d’un appui international à la campagne que nous lançons pour la liberté des 7 exilés, retenus dans l’ambassade du Mexique. Mais aussi pour la liberté de l’avocate Patricia Hermosa (la représentante légale de l’ancien président Evo Morales, dont elle fut cheffe de cabinet, arrêtée le 31 janvier 2020 et illégalement incarcérée depuis février, ndlr) et les autres prisonnières politiques qui sont détenues injustement et sans accusation formelle. Je pense aussi à l’ancienne Présidente du tribunal suprême électoral. la Dr. Maria-Eugenia Choque. qui a été stigmatisée et maltraitée malgré son âge et le fait qu’elle est diabétique. Mais il y en a bien d’autres hélas.