Printemps combatif dans le Nord vaudois

Histoire • La grève de 1971 dans l’usine Paillard à Yverdon-les-Bains marque la forte implantation du POP dans la région, ainsi que les vives tensions qui ont miné le mouvement ouvrier à Yverdon. (Par Luca Schalbetter)

L’usine Paillard à Yverdon-les-Bains, un haut lieu de luttes ouvrières dans les années 70. (DR)

Des dissensions opposèrent la Fédération des ouvriers sur métaux et horlogers (FOMH, maintenant Unia), le POP et la Ligue Marxiste Révolutionnaire (LMR). Cet événement fera prochainement l’objet d’un mémoire de Master de Lionel Cachin, étudiant en histoire à l’Université de Lausanne.
Rappelons que l’entreprise Paillard employait alors près de 3000 employés sur ses 3 sites du Nord vaudois: Yverdon, Orbe et Sainte-Croix. On y fabriquait, entre autres, boîtes à musiques et machines à écrire. Une image de marque connue qui faisait la fierté de toute une région.

Résistance popiste

Le 23 mars 1971, la direction de l’entreprise annonce la suppression de la répartition de printemps (part de bénéfice rétribuée au personnel) à ses employés. Ni les syndicats, ni la com- mission ouvrière de l’entreprise ne sont consultés. Le lendemain, Claude Contini, alors conseiller communal popiste, tracte devant l’entreprise pour appeler à une assemblée du personnel qui a lieu le soir même au cercle ouvrier yverdonnois. La réunion du POP sera un succès, environ 200 travailleurs s’y rendront. Jean-Louis Miéville, conseiller communal, député, puis futur municipal popiste de la ville animera la séance. Lui qui a été employé de Paillard pendant de nombreuses années, membre de la commission ouvrière et licencié pour son engagement au POP. Ce n’est qu’au Locle qu’il retrouvera un emploi, suite à «l’interdiction professionnelle» émise par Paillard. Charles-André Uldry, avec plusieurs membres de la LMR, se rendirent à cette réunion et provoquèrent de graves tensions. Pourtant cette organisation était inexistante à Yverdon et composée principalement de jeunes étudiants.

Comité de défense

Le 25 mars au matin, les ouvriers se réunissent dans la cafétéria de l’entreprise et fondent un comité de défense des travailleurs. Cette manœuvre est perçue comme un contournement du syndicat pour y imposer des revendications ambitieuses (pas de suppression de la répartition de printemps, mensualisation de tous les travailleurs, augmentation des salaires, pas de représailles pour les grévistes…).

Le soir même, la FOMH convoque une assemblée avec ses membres. On y dénombre 700 participants, dont un nombre important de militants de la LMR et d’ouvriers non-syndiqués. Charles-André Uldry prend la parole, contre l’avis des permanents syndicaux, et les tensions sont vives. Le syndicat présentant d’autres revendications, les travailleurs contraindront leur organisation à porter celles qui émanaient de leur réunion du matin dans l’entreprise. Même procédé à Orbe, alors qu’à Ste- Croix, les revendications syndicales sont d’abord acceptées par le personnel avant d’être contestées par la suite.

Revendications ouvrières

Quatre jours plus tard, une délégation du syndicat et de la commission ouvrière rencontre la direction de Paillard. Il y est décidé de régler le conflit via une procédure conventionnelle d’arbitrage, dans un tribunal. Les travailleurs y voient une grave trahison de la part de la FOMH, qui ne lutte pas mais abdique. Le comité des travailleurs voit cette procédure comme largement favorable au patronat, en écrivant dans un tract «il est préférable (s-e: pour les employeurs) de faire face à un magistrat de l’ordre judiciaire ou à l’office de conciliation plutôt qu’à un mouvement de travailleurs organisés».

S’ensuit une longue bataille de tracts et articles de presse entre la FOMH, le Comité des travailleurs, le POP et la LMR. Le POP, lui, apporte son soutien au Comité des travailleurs mais aussi à la FOMH, notamment dans les colonnes de la Voix ouvrière, ancêtre de l’actuel Gauchebdo. Les décisions tombent à la fin du mois d’avril, les revendications ouvrières sont partiellement acceptées. Il y aura de petites augmentations de salaires, une mensualisation généralisée et engagement de non-représailles envers les grévistes. Ce dernier point ne sera pas respecté par la direction. Les ouvriers seront informés du verdict 5 jours après la décision, par des assemblées de la FOMH qui réuniront 1300 employés.

Celle-ci se montrera «pleinement satisfaite» de sa victoire au tribunal. Le Comité des travailleurs et le POP parleront d’une satisfaction partielle. Alors que la LMR continuera d’accuser le syndicat de «trahison».