«Women Lives Matter», une longue marche

Suisse • Extension de la définition du viol et du consentement dans un «droit pénal en matière de délits sexuels» et lutte contre harcèlement de rue. Trois personnalités très engagées pour les droits des femmes font le point.

A Genève, des jeunes femmes protestent contre le harcèlement de rue lors de la Grève féministe et des femmes du 14 Juin 2020. (LDD)

Depuis le 1er juillet, une partie des modifications des codes civil et pénal touchant la protection des victimes de violence domestique et de harcèlement est effective. Si c’est un «élément très important pour mieux protéger les femmes soumises à de la violence», la Conseillère aux Etats écologiste, Lisa Mazzone reconnaît que la définition du viol dans le code pénal suisse participe d’«un reliquat d’un temps que l’on veut révolu. Contourner la volonté de la victime doit être reconnu comme violence sexuelle, même s’il n’y a pas contrainte.»

La sénatrice genevoise soutient ainsi l’appel pour une révision du droit pénal sexuel, Protéger l’autodétermination sexuelle. Ce dernier rappelle avec fermeté: «le droit pénal actuel est dépassé: il ne reconnaît un acte sexuel contre la volonté de la personne concernée comme une grave injustice que si la victime y a été contrainte – par exemple par la violence ou la menace. Il est donc indirectement demandé à la victime de se défendre et de s’exposer ainsi à d’autres blessures. Un «non» ne suffit pas, et des atteintes massives à l’autodétermination sexuelle restent donc régulièrement impunies en Suisse.»

Un viol à redéfinir dans la loi

Dans notre pays, selon un rapport commandité par Amnesty International, 22% des femmes ont connu des actes sexuels non consentis. Seules 8% ont porté plainte dans un délai obligatoire de six mois. Ceci alors que la victime est dans état de sidération et connaît des troubles psychologiques conséquents sur une longue durée. Ces femmes ne le font souvent pas par honte, manque de soutien, crainte de complications intimes, familiales et professionnelles. Ou par peur de ne pas être crues.

Le viol pourrait-il alors être requalifié en crime contre l’humanité, ce qui ouvrait la possibilité de son imprescriptibilité. Lisa Mazzone s’oppose à cette perspective, «car la prescription est un élément essentiel de l’ordre juridique. Par contre, le délai de dépôt de plainte devrait être allongé.»

Pour la Secrétaire syndicale centrale SSP-VPOD, Michela Boloventa, «en matière de violence sexiste, les dispositions en vigueur sont dépassées et les modifications prévues ne suffisent de loin pas. Comme le demande l’Appel Protéger l’autodétermination sexuelle, le code pénal suisse doit être modifié pour tenir compte de la notion de consentement de toutes les per- sonnes impliquées.»

La syndicaliste tessinoise, co-organisatrice de la Grève féministe et des femmes du 14 juin juge que la contrainte sexuelle et le viol tels que conçus dans les textes légaux actuels sont totalement obsolètes. Et contraires à la Convention d’Istanbul entrée en vigueur en 2018 en Suisse. Cette dernière prévoit clairement que l’absence de consentement doit être au centre de la définition juridique du viol et des autres violences sexuelles. «La définition du viol doit englober toutes les pénétrations (vaginales, orales et anales de nature sexuelle et non consenties), que la victime soit une femme ou un homme. Nous demandons aussi d’inclure explicitement le terme de féminicide dans le Code pénal.»

Non-consentement à clarifier

L’un des volets les plus controversés est la question du non-consentement qui n’existe pas dans le droit suisse. Pour la justice de ce pays, l’auteur du délit doit recourir à des «menaces ou des violences» ou «exercer des pressions d’ordre psychique». Or nombre de femmes en couples sont confrontées à des compagnons, qui instrumentalise la relation de confiance obtiennent un rapport non consenti de leur compagne. D’autres voix craignent une juridicisation excessive des relations femmes-hommes.

Aux yeux de Kaya Pawlovska, membre du Groupe égalité du PS genevois et du Collectif genevois pour la grève féministe «une violence est une violence. Entre une femme, un homme, une personne non-binaire, elle est qualifiée comme telle selon des critères précis par le droit, et il est important d’intérioriser que ce n’est pas la justice qui fait cette définition. La justice demande des preuves des faits avancés, elle use d’une marge d’appréciation probable- ment hétéronormée, raciste et sexiste.» Cependant, même lorsqu’aucune plainte n’est déposée, une violence reste une violence. Conclusion: «Si l’on se veut humaniste et intersectionnelle, il faut marteler ce message pour démontrer son refus d’une société patriarcale qui tolère que certains actes de violence soient considérés comme secondaires pour des raisons socio-culturelles.»

Harcelées

Autre sujet irrésolu concernant les violences faites aux femmes, le harcèlement de rue: sifflements, gestes obscènes, regards insistants, poursuites. Il n’est pas reconnu par la loi suisse. Seules certaines de ses manifestations – insultes, menaces ou attouchements – sont pénalement répréhensibles.

Depuis 2017, les démarches se multiplient pour combler ce vide juridique. Le conseiller national Mathias Reynard (PS/VS) a ainsi déposé plusieurs motions et postulats à Berne pour lutter contre ce «fléau du quotidien». Pour Lisa Mazzone, il faut étendre le champ de l’aide aux victimes pour mieux accompagner les personnes qui subissent du harcèlement de rue et offrir des assistances juridiques aux jeunes femmes. «Je trouve que le cursus scolaire obligatoire devrait aussi prévoir des moments non mixtes pour que les filles et les garçons déconstruisent les stéréotypes. Le plus important, c’est que la victime puisse se sentir à nouveau mieux et que le harceleur ne recommence pas. Des espaces de médiation du type justice restaurative seraient pertinents.»