Problèmes de couple, statut de la femme et chasse aux sorcières

Livre • Danielle Cudré-Mauroux propose un petit roman subtil sur des femmes vues comme sorcières.

Le roman se situe à la fin des années 1970. C’est-à-dire en pleine période des initiatives xénophobes: «pas question que tu épouses un Rital», crient les parents de la jeune Sophie. Par ailleurs, les naissances hors mariage et les «filles-mères» sont encore très mal vues. Elisa, médecin pédiatre d’origine fribourgeoise (comme l’auteure), vit un conflit de couple. Elle refuse depuis son mariage de faire l’enfant attendu avec impatience par son mari Loïc et la famille. Elle souffre d’une dépression qui se révélera avoir des causes profondes, à la fois sociétales et historiques.

Ses hallucinations, qui la mènent près de la folie, sont à mettre en rapport avec une exposition qu’elle a visitée au château de Chillon, La chasse aux sorcières en Suisse romande. Elle y a vu des instruments de torture, mais surtout un tableau qui représente une «sorcière» attachée à un poteau au centre d’un bûcher. Celle-ci évoque chez Élisa d’étranges réminiscences: elle en vient à se confondre avec la victime de l’Inquisition. Elle se sent liée donc d’une certaine manière à cette horreur. L’écheveau se dénouera d’abord grâce à des séances d’hypnose chez un psychiatre.

Puis Elisa part à la recherche de la vérité dans son village natal. Elle y rencontre une vieille femme, sorte de «sorcière» moderne, qui lui fait des révélations. Celles-ci se confirment aux archives historiques de Fribourg, où Élisa comprendra ce qui s’est passé en février 1478: son ancêtre a pris une part active au procès et à l’exécution par le feu de la malheureuse Jeannette, celle du tableau.

D’autres femmes ont été considérées comme sorcières, parce qu’elles avaient subi un avortement, mis au monde un enfant hors mariage, ou encore jeté des sorts à d’autres enfants pour les faire mourir. Non seulement, Élisa se sent déliée du terrible poids qui la hantait, arrachée à cette malédiction familiale, sans qu’elle en comprît la signification profonde. Mais encore, libérée, elle ouvre un cabinet de pédiatrie à Monthey, s’engage avec sa belle-mère dans son combat pour décriminaliser l’avortement… et donne à Loïc une petite fille.

On pouvait craindre un livre qui recoure au paranormal. Mais Danielle Cudré-Mauroux, dans ce premier roman prometteur, fait appel à la psychiatrie et à la recherche historique. Elle a d’ailleurs donné aussi des conférences sur la répression de la «sorcellerie» en terre romande.

Danielle Cudré-Mauroux, Sortilège au château de Chillon, Ed. Montsalvens, 2019, 159 p.