Grand Conseil: la tentation aristocratique

Neuchâtel • De nouvelles règles de fonctionnement du Parlement pour limiter la longueur des interventions vont-elles restreindre la marge de manœuvre de député.e.s dans un hémicycle déjà largement dominé par une certaine classe sociale?

A l’instar de nombreux parlements, celui de Neuchâtel se caractérise par une sous-représentation des salarié.e.s du secteur privé et des chômeurs. (Quorbach)

Le Grand Conseil neuchâtelois est en phase de mutation. Pour rappel, en 2013, le législatif cantonal obtient son autonomisation, bénéficiant d’une administration indépendante de celle du gouvernement. Cette situation ouvrait des perspectives réjouissantes sur l’évolution de la chambre du peuple et la séparation des pouvoirs. C’était sans compter sur différentes mesures qui allèrent, au fil des législatures, cloisonner le système et réduire progressivement le débat démocratique.

En 2021, le Grand Conseil verra ainsi une réduction du nombre des «représentants du peuple», passant de 115 à 100 député.e.s. Contre-pouvoir potentiel aux gouvernements et proches des populations locales, les membres des exécutifs communaux, notamment non professionnels, seront exclus du parlement cantonal.

Dernier en date, un projet de limitation du nombre de signes pour le dépôt des questions aux gouvernements est déposé (1). S’inscrivant dans la continuité des processus en cours, cette nouvelle proposition est tout sauf anodine. Les groupes, notamment non gouverne- mentaux, seraient dans l’impossibilité de développer leur question. La maîtrise du langage et des codes des dominants étant source d’inégalités, elle pourrait bien museler un peu plus encore les classes populaires. Prise dans un contexte de rétorsion et de réduction des moyens d’intervention démocratique, cette nouvelle démarche pourrait bien tirer sa source dans la composition même des partis du Grand Conseil.

Quelle est la caractéristique des groupes constitutifs du législatif cantonal? Les député.e.s salarié.e.s du monde privé ou sans emplois repré- sentent 37.5% de la députation UDC et 31% de POPVertSol. Or, ce chiffre chute à 19.5% pour le Parti libéral radical et même jusqu’à 13% pour le Parti socialiste (2). Pour rappel, ces deux groupes étant les plus importants du Grand Conseil, ils ont à eux seuls la majorité absolue.

Le parti socialiste est majoritairement représenté par des fonctionnaires ou du personnel d’institutions parapubliques. Ainsi, cette catégorie représente 51.5% du PS et 34.5% de POPVertSol. A l’inverse, le PLR est principalement représenté par le patronat et les indépendants avec 44% de sa députation, contre 15% pour POPVertSol et 9.5% pour le PS. A l’instar de nombreux parlements, celui de Neuchâtel se caractérise donc par une sous-représentation des salarié.e.s du secteur privé et des chômeurs par rapport à leur presence dans la société civile dite «active». Seul le groupe POPVertSol se rapproche donc de la répartition objective de la population.

Il y a pourtant une composante similaire aux deux partis majoritaires que sont les PLR et le PS: la présence d’hommes et de femmes issu.e.s du domaine du droit (juristes et avocats), représentant chez chacun d’eux 16% de leur députation. Orientée sur des questions de forme, souvent anhistorique, cette composante pourrait renforcer la tendance conservatrice et élitiste. D’ailleurs, leurs chef.ff.es de groupe sont eux-mêmes issu.e.s de ce milieu. Bref, véritable chambre d’enregistrement quasi gouvernementale, le législatif cantonal risque bien d’être happé par la tentation aristocratique.

1 Le projet de loi prévoit une limitation à 500 signes espace compris sans possibilité de développement oral. Cette proposition émane d’une logique de rétorsion par rapport aux questions posées à l’époque sur le projet de concentration hospitalière, refusé à juste titre par le peuple.

2 L’UDC ne comprend – il est vrai – que 8 députés. Avec 6 députés, le PDC et les Verts libéraux n’ont, quant à eux, aucun représentant issu de ce groupe d’actifs