Le politique parle, le climat trépasse?

Alternatiba • Parallèlement à l’importance croissante accordée à la sauvegarde de notre environnement au sein de la société, la parole politique semble bien en retrait.

Face à l’urgence climatique et l’effondrement en cours, le conseiller d’Etat genevois Antonio Hodgers évoque son passé anticapitaliste et défend des actes de rébellion. (DR)

Lundi s’ouvrait à Genève la 6e édition du mouvement citoyen de mobilisation autour du dérèglement climatique, Alternatiba («alternative» en basque). Pour inaugurer l’événement, une table ronde a été organisée sous l’intitulé: «Pourquoi une neutralité carbone n’est-elle pas possible en 2030?». Malgré le fait qu’aucune réponse à cette question n’y ait été apportée, le débat a fait émerger quelques thèmes saillants.

La planète a la fièvre

Après un énième constat scientifique rappelant que les chercheurs s’attendent à une augmentation de la température terrestre moyenne jusqu’à la fin du siècle, quelles que soient les mesures adoptées, restaient à discuter des décisions politiques qui détermineront cette élévation. Dans une perspective optimiste, où les émissions de gaz à effet de serre seraient drastiquement réduites, elle pourrait s’arrêter aux environs de 2 degrés Celsius. Dans le cas contraire plus pessimiste, elle pourrait atteindre 4°C et faire de notre planète une véritable étuve peu, voire pas viable.

Place ensuite à un débat entre le Président du Conseil d’État, Antonio Hodgers (les Verts), Abigaël Mackenzie, membre d’Extinction Rébellion (ER), Alfonso Gomez, conseiller administratif en charge de l’environnement, Léonard Schneider, assistant doctorant en climatologie appliquée (UniNE) et Yvonne Winteler, membre de l’alliance climatique Genevoise.

Hodgers Rébellion

La modératrice, Sarah Sermondadaz, journaliste scientifique à Heidi News, ouvre le ban en interrogeant Mme Mackenzie et Mr Hodgers, à propos de la désobéissance civile ayant cours devant le Palais fédéral. Au second, elle demande: «Si vous aviez vingt ans aujourd’hui, est-ce que vous seriez militant dans les grèves pour le climat, comment aborderiez-vous la chose?». Elle rappelle que l’on peut avoir plus de 20 ans et militer «pour rappeler l’urgence dans laquelle on est». En réponse, Antonio Hodgers affirme se considérer aussi comme militant. «Quand j’avais 20 ans, c’était les grandes manifestations altermondialistes contre l’OMC (Organisation mondiale du commerce, ndr) et l’ultralibéralisme, qui a créé le modèle d’aujourd’hui», se souvient le Magistrat. «On avait raison de manifester contre l’ordre économique mondial qui s’est mis en place dans les années 90, puisqu’il a généré une aggravation climatique majeure et des inégalités. Ceci contrairement à ce qu’avait prévu le discours capitaliste.» Soit que la libéralisation des marchés amènera davantage de prospérité. «Aujourd’hui, on a les chiffres. Ce n’était pas vrai.»

Il égrène alors ses faits d’armes rappelant s’être fait «gazer à Davos» et avoir subi «le jet d’eau froide (des canons de la police, ndr)» dans différentes manifestations «devant l’OMC et compagnie». Avant de conclure, plus résistant que jamais: «Une chose est sûre, c’est que dans l’histoire de l’humanité, il n’y a pas eu de changements majeurs sans des actes de rébellion.».

Hodgers Adaptation

Après que la tablée ait épilogué sur la consommation locale, les coopératives d’habitation et autres toilettes sèches, Abigaël Mackenzie s’insurge: «La question n’est pas celle de mon impact en tant qu’individu, c’est celle d’un système toxique composé d’acteurs bien plus grands que moi!», jetant ainsi la question de la place financière sur la table. Montant à la volée, l’ex-activiste Antonio Hodgers aligne un revers voulu imparable: «On doit faire en sorte que les actifs riches en carbone perdent de leur valeur.» Et alors les banques «arrêteront d’investir.» Selon lui, une taxation par les États des actifs pourrait permettre «que le marché se corrige par lui-même». On lui retourne alors la balle suivante, s’il militait dans sa jeunesse contre «l’ultralibéralisme» et le «discours capitaliste» ne voit-il pas quelques paradoxes à l’idée de taxer les combustibles fossiles pour que le marché «se régule par lui-même»? «Allez-y, faites la révolution et vous abolissez le capital!», croit-il smasher.

Avant de souligner les maigres résultats de l’Union soviétique en matière de protection du climat. Il détaille sa pensée, «on n’est pas près d’abattre le capitalisme, alors il faut faire en sorte qu’il s’équilibre. La vraie question? Est-ce que l’on peut y arriver, le capitalisme en est-il capable? Et la réponse est politique».

«Si on ne sert à rien, on dégage»

Un auditeur tente alors un retour interrogatif gagnant. «Il faut taxer le fossile mais vous ne le faites pas. Cela fait vingt-trente ans qu’on attend et il n’y a pas un politique qui en ait le courage, mais à quoi servez-vous? Idem en ce qui concerne la répression policière et judiciaire des mouvements, à quoi servez-vous?» Estimant avoir déjà «beaucoup parlé», Antonio Hodgers laisse la balle de match à son partenaire de double à la Ville, Alfonso Gomez. «Si on ne sert à rien, dans cinq ans on dégage, mais il y a quand même eu des modifications de lois». Ceci avant de souligner les bâtons dans les roues jetés par une droite prête à mettre son veto «pour 20 mètres de pistes cyclables».

Sur la répression, il reconnaît, «nous devrions réagir». Evoquant la Critical Mass (rassemblement de
deux roues et rollers pour rendre aux rues de la ville leur rôle de lieu d’échanges et de rencontres, voir GH 36), cet ancien de ProVélo se rappelle avoir été taxé de «cyclo-terroriste». Il affirme: «Je ne devrais pas dire ça, mais un Conseiller d’État (s-e: Serge Dal Busco, ndlr) se fait une publicité à bon dos».

La Terre cuite à l’étuvée

Si ce débat se termine, la catastrophe continue. Ainsi dans une recherche des équipes d’Harvard et Cambridge (2018), on lit: «Notre analyse suggère que le système terrestre s’approche d’un seuil planétaire qui pourrait ver- rouiller une voie rapide continue vers des conditions beaucoup plus chaudes – une Terre étuve. Cette voie serait propulsée par de fortes rétroactions bio-géophysiques intrinsèques, difficiles à influencer par les actions humaines, une voie qui ne pourrait pas être inversée, orientée ou sensiblement ralentie.»

Il se pourrait qu’à l’instar du bandeau du livre «Que crève le capitalisme» d’Hervé Kampf, rédacteur en chef de Reporterre, «ce sera lui ou nous» comme le suggère le sous-titre de son essai. C’est en tout cas ce que semblent penser les activistes, jeunes et moins jeunes, lorsqu’ils.elles scandent que «l’écologie sans luttes des classes c’est du jardinage!».

Alternatiba Léman se poursuit toute la semaine. Le samedi 26 septembre, tout le monde est convié aux Bastions «pour retrouver les initiatives locales qui colorent notre région». Gauchebdo y tient un stand.