Souvenirs dansés comme présence renouvelée

SPECTACLE • Sous l’impulsion de l’artiste français Jérôme Bel, l’actrice Valérie Dreville déploie un biopic dansé au fil de souvenirs chorégraphiques évoqués par la performance en mouvements et la parole.

Valérie Dreville dans "Les Danses de sa vie (Valérie Dreville)" de Jérôme Bel. DR

De Pina Bausch à Kazuo Ōno en cheminant par Simone Forti, voici un solo mémoriel pour temps pandémiques. Dans «Les Danses de sa vie (Valérie Dreville)», Valérie Dreville rappelle les principes de l’improvisation. Soit danser dans l’instant présent, ne jamais répéter des moments connus ou appris. Mais aussi ne pas attendre de résultats, accepter les accidents et les échecs et vivre l’expérience sans la juger.

Cette définition de l’improvisation rejoint chez le chorégraphe Jérôme Bel une manière singulière, déroutante et naïve parfois de tenter de dégager de toute critique ce qu’il fait, produit ou déproduit depuis 25 ans. Ceci au cœur de spectacles à la frontière mouvante du documentaire et de l’autofiction. Il a ainsi réalisé Véronique Doisneau (2004), commande de l’Opéra de Paris avec une danseuse du ballet narrant son expérience dans l’institution. Puis Cour d’honneur, au Festival d’Avignon (2013), composé des témoignages, sur scène, de quatorze spectateurs du festival racontant leur souvenir de spectacles. Ou encore Disabled Theater, dans lequel il invite les acteurs handicapés du Theater Hora zurichois à partager leurs danses et histoires.

Enfance de l’art

Le processus de travail s’est ainsi initié avec Jérôme Bel chez Valérie Dreville en «essayant de mêler nos pratiques respectives.» Au premier jour de répétition, le chorégraphe m’a ainsi demandée ce que la danse était et représentait pour moi. Que m’en restait-il? Or, dans ma mémoire affective, la danse avant d’être un intérêt tant de spectatrice que d’actrice, ramène à mon enfance», explique l’actrice en entretien.

La comédienne débute ainsi par l’évocation autobiographique heureuse de ses cours de danse classique chez Monsieur Schwartz. Elle exécute ouverture, postures iconiques et pirouettes qui ne visent ni la virtuosité ni la précision dans leur exécution. «Petite à 6-7 ans, j’ai fait de la danse classique. Qui n’a pas eu une influence prépondérante sur ce que je suis. Mais il s’agissait tout de même de la scène, un élément important. Habitant a campagne, le cours de Monsieur Schwarz se déroulait à la ville. Donc il s’agissait déjà d’un déplacement. J’étais alors fascinée par les grandes danseuses étoiles de l’Opéra de Paris, à l’image de Noëlla Pontois. Du monde, la danse classique me racontait la grâce, la féminité. La danse classique était un rêve que je vivais en allant aux cours. Peut-être mon premier rêve artistique», souligne Valérie Dreville.

Présence pure

Le chorégraphe lui a réappris ce que qu’elle nomme le «présent d’apparition», contre les formes d’inertie et d’habitude qui sont inhérentes à la mise en jeu d’un acteur au plateau. «C’est un travail qui active fortement ce mécanisme de sentiment et vécu de première fois. Puisque je suis débutante en danse. Partant, j’apprends selon le principe de la philosophie taoïste invitant à développer l’esprit de débutant.»

En débutante, elle refigure ainsi des extraits tirés de Café Müller, la première pièce chorégraphique et autobiographique de la chorégraphe et danseuse allemande Pina Bausch et son immobilité somnambulique au cœur d’un théâtre dansé d’inspiration beckettien.

La performance voit ensuite Valérie Dreville refigurer quelques mouvements, en les commentant, de Prélude dû à la chorégraphe et interprète américaine Isadora Duncan sur le Prélude no 7 de Chopin. Jérôme Bel ayant l’habitude de faire le portrait de danseurs et danseuses avait créé Isadora Duncan (2019). Cette figure révolutionnaire fut ainsi mise en corps par la spécialiste Élisabeth Schwartz et en mots par Chiara Gallerani, pour mieux transmettre la danse. Rien ici de bien nouveau donc.

Ecrans, hommages et création

Un autre régime activé de transmission de la danse passe par la vision sur smartphone de pièces cultes – Huddle de l’Américaine Simone Forti, Le Sacre du Printemps de Pina Bausch… -. Invisibles, les images sont commentées avec ferveur et passion par l’actrice s’agitant sur sa chaise. Et les commentant comme le ferait une fan de foot d’une partie de ballon rond hypnotique.

Enfin un double hommage dansé de Valérie Dreville au metteur en Claude Régy et au chorégraphe et interprète nippon de butō, Kazuo Ōno (mettant en exergue la lenteur et l’infime) et un solo minimaliste de son cru «basé sur un souvenir» et la découvrant tournant quasi imperceptiblement sur elle-même, complètent ce livre ouvert sur des souvenirs de danse. Qui tient plus de l’esquisse performative que du spectacle de danse traditionnel, comme c’était à espérer et à prévoir. Et c’est tant mieux pour les amateurs.trices du travail de Jérôme Bel.

Pour mémoire, formée à l’Ecole de Chaillot – par Antoine Vitez qui la dirigera dans Le Soulier de satin de Claudel en Avignon (1988) –, passée par le Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris puis la Comédie-Française, Valérie Dréville, actrice discrète et essentielle a œuvré aux côtés des signatures les plus en vue du théâtre contemporain (Claude Régy, Anatoli Vassiliev, Alain Françon, Jean-Pierre Vincent, Krystian Lupa, Thomas Ostermeier …) et du cinéma (Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Philippe Garrel, Arnaud Desplechin, Nicolas Klotz, Michel Deville…).

Bertrand Tappolet

«Les Danses de sa vie (Valérie Dreville)». Jusqu’au 3 octobre. Théâtre de Vidy. Puis tournée possible. www.vidy.ch