Dans la tête et la peau de Greta Thunberg

Cinéma • Sacrée par le «Time» parmi les jeunes les plus influents au monde, dédiant les montants de ses prix à la croisade climatique des enfants et adolescents quand elle ne les refuse pas, Greta Thunberg est une Jeanne d’Arc planétaire déterminée et fragile.

Greta Thunberg face au Parlement suédois. Esseulée, elle deviendra une icône du mouvement pro-climat des jeunes fustigeant la trahison des adultes. (DR)

Dans le documentaire I Am Greta, l’icône activiste et influenceuse hors pair exprime davantage de complicité avec les animaux que d’attention pour l’humain. En l’occurrence, son chien baigné d’un amour pur, inconditionnel, absolu, Roxy. Ne porte-t-il pas un prénom identique au chien si précieux à Jean-Luc Godard (Adieu au langage)?

A l’image, la brindille climatique brosse doucement l’immense animal. Qui semble lui dire: «Allez, pas de panique, ça va aller.» Secrètement, on pressent qu’il a contribué avec Moses – son autre toutou – à sauver la vie de la Suédoise. Avant qu’elle ne tente de sauver le monde. De lui- même aussi. Car Greta Thunberg revient de loin. De très loin dans la dépression, l’anorexie et l’affliction face à l’extinction de masse et l’effondrement de nos écosystèmes.

«Comment osez-vous?»

Pour son film, le réalisateur suédois inconnu, Nathan Grossman, a suivi la militante depuis ses premières grèves scolaires en 2018, à 15 ans, transformées en mouvement mondial, jusqu’à son furieux discours devant l’ONU, le 23 septembre 2019 à New York. «Vous avez volé mes rêves et ma jeunesse avec vos mots creux. Et encore, je fais partie des plus chanceux! Des gens souffrent, des gens meurent, et des écosystèmes s’écroulent. Nous sommes au début d’une extinction de masse, et tout ce dont vous parlez c’est d’argent, et de contes de fées racontant une croissance économique éternelle…. Depuis plus de 30 ans, la science est parfaitement claire. Comment osez-vous encore regarder ailleurs?» réprimandait-elle les dirigeant.e.s de la planète pour leur inaction contre le changement climatique. Le cinéaste avance avoir voulu réaliser un opus à hauteur de regard d’enfant.

Engagement et sens des responsabilités

Avec ses 12 millions de followers sur les réseaux sociaux et ses discours anxiogènes appelant à paniquer, Greta Thunberg a déjà fait à 17 ans l’objet de plusieurs (auto) biographies auxquelles le film n’apporte rien de significatif. «Nous sommes à un moment de l’Histoire où toute personne avec une idée sur la crise climatique qui menace notre civilisation et toute la biosphère doit parler. Avec des mots simples… Nous devons changer à peu près tout dans nos sociétés. Plus grande est votre empreinte carbone, plus grand est votre devoir moral. Plus grande est votre audience, plus grande est votre responsabilité», écrit-elle dans son manifeste, Rejoignez-nous (2018).

Elle est alors à 15 ans l’inspiratrice des Fridays for Future et de la grève pour le climat qui mobilisent la jeunesse à travers le monde. Dans les pleurs de sa mère et son hyperémotivité présents dans le film, on trouve ainsi l’écho de ce que l’autobiographie familiale des Thunberg a déjà livré. Malena Ernman, ancienne chanteuse pop et cantatrice y écrit sur sa fille: «Elle disparaissait lentement dans une sorte d’obscurité et peu à peu, elle semblait cesser de fonctionner. Elle a cessé de jouer du piano. Elle a cessé de rire. Elle a cessé de parler. Et elle a cessé de manger.» (Our House Is on Fire: Scenes of a Family and a Planet in Crisis). Le film la voit souvent soutenue par son père, Svente Thunberg, ancien acteur devenu producteur. Sans que ce dernier ne puisse influer sur ces discours qu’elle perfectionne continûment.

Engagement multiforme

Atteinte du Covid-19, la jeune femme a compris que cette crise allait creuser l’inaction politique en matière climatique et les inégalités sociales. Le film la découvre étendue au sol alors que les news tv détaillent les atteintes incendiaires du Brésil de Bolsonaro à la forêt amazonienne. On fait parfois reproche à la militante de n’être pas ouvertement anticapitaliste, de ne pas mettre en exergue les causes systémiques, économiques et sociales de la crise climatique. Fustigeant la croissance sans frein, Greta Thunberg est consciente que cette approche partisane la rendrait inaudible au plus grand nombre.

Dès lors, elle mobilise des moyens conséquents pour la survie de la planète et contre la crise Covid-19 en Amazonie. Ainsi un million d’euros du prix portugais Gulbenkian (plus élevé que le Nobel) intégralement reversés aux causes environnementales. 100’000 euros seront dévolus à la campagne «SOS Amazonie» de la branche brésilienne de Fridays for Future pour répondre au Covid-19 sur ce vaste territoire. Et le même montant à la Fondation Stop Ecocide visant à instaurer un crime d’«écocide» dans la législation internationale.

Place de l’enfantin

Le film s’ouvre et se scelle quasiment sur sa traversée de l’Atlantique menée 15 jours durant dans des conditions éprouvantes pour rejoindre New York et l’ONU accueillant dans l’indifférence son «J’accuse» climatique. en voix off, Greta Thunberg précise avoir entrepris ce périple pour notamment illustrer l’impossibilité d’accorder ses déplacements à un strict respect de standards environne- mentaux élevés.

Frappée du syndrome Asperger, qui en fait une autiste démiurge et lucide, la fillette semble régner en maître sur sa famille. Elle en régente le régime alimentaire et fustige tôt son mode de consommation sans limite. Un caractère doucement tyrannique, un véritable «trou noir» dépressif au chevet duquel la famille s’est mise. Et que le documentaire ne creuse pas.

Cinéma de l’entre-deux

C’est à un portrait impressionniste que convie I am Greta. Assise dans la rue en mode SDF mendiant l’attention, face au parlement suédois à ses débuts avec sa pancarte de «Grève pour le climat», la ressemblance avec le personnage fictif de Forrest Gump, timide et asocial s’impose,. Jusqu’à sa traversée en bateau, où elle éprouve ses limites tant physiques que psychiques. Avant de craquer en pleine tempête face à l’incroyable fardeau de sa responsabilité bien trop lourde à endosser.

Comme le cinéma fictionnel de Ruben Ostlund (Involuntary-Happy Sweeden), I Am Greta est un tableau de la société proposé par un cinéaste moralisateur – dans le sens émancipateur, progressiste du terme – accompagnant une activiste moralisatrice. Celle-ci nous fait réfléchir et pousse- à-agir face aux pires dérives et aveuglements en tout genre de l’espèce humaine.

Privilégiant un cadrage de seuil et de l’entre-deux, dans une distance alliant le proche au lointain face à son sujet que l’on découvre dansant de manière inspirée, méditative contre tout ce qui tente de l’asservir et le découragement, ce documentaire classique dans sa forme, porte en lui une croyance dans l’évolution possible de l’humain vers d’autres manières d’être, d’autres mondes possibles. Et c’est déjà beaucoup.