Les contraintes de l’habillement des femmes

La chronique féministe • Voyage dans le temps à travers la mode et la différenciation vestimentaire entre femmes et hommes.

Dès 1789, la silhouette féminine tend à ressembler à celle de l’Antiquité grecque: la robe devient fluide et plus légère, avec un seul lacet sous le sein. (DR)

«Une femme ne portera pas un habit d’homme, et un homme ne mettra point un vêtement de femme; car quiconque fait ces choses est en abomination à Yahweh, ton Dieu» 2 Deutéronome XXII, 5.

Pourtant, les vêtements des hommes et des femmes se ressemblaient: tunique et robe, mais plus larges et plus amples pour ces dernières. À l’époque gréco-romaine, on porte la toge qui, elle-même, recouvrait la tunique, une chemise longue cousue sur chaque côté. Ces deux habits étaient unisexes. C’est seulement à la Renaissance que la robe devient un vêtement exclusivement féminin. Depuis la fin du Moyen Âge, les hommes portent la culotte et les femmes, la robe.

Du 15e au 18e siècle, la femme est corsetée, la ceinture étranglée et le bas du corps noyé sous les plis. Un corsetage qui redresse et dresse, à la fois, les femmes. L’historien Georges Vigarello parle même d’un enjeu de culture: «L’habit court masculin opposé à l’habit long féminin souligne la différence entre l’homme confronté au travail et la femme confrontée au décor, les unes vers l’esthétique, les autres vers la fonctionnalité.»

Les Lumières et l’invention des sciences naturelles permettent de desserrer l’étau, on prend enfin conscience de la souffrance du corps féminin: l’usage d’un corset, sur le long terme, dégrade la peau mais blesse aussi les organes internes. Sous l’effet de la compression, l’estomac et les intestins remontent et viennent endommager le foie, la rate et les reins. C’est la Révolution française qui libère la femme et allège les robes. Dès 1789, la silhouette féminine tend à ressembler à celle de l’Antiquité grecque: la robe devient fluide et plus légère, avec un seul lacet sous le sein.
A la fin du 18e siècle, quelques femmes osent même le pantalon, immédiatement interdit. Christine Bard, historienne spécialiste de l’histoire des femmes, observe que l’interdiction du port du pantalon permettait également d’exclure les femmes de la pratique du sport.

En 1926, Coco Chanel lance des ensembles en jersey souples, utilisés auparavant comme sous-vêtements. Après la Deuxième Guerre mondiale, la taille de la robe diminue; Mary Quant et André Courrèges offrent aux femmes la minijupe leur permettant «une libre dis- position de leur corps», souligne Georges Vigarello.

Les femmes ne veulent plus se laisser dominer et imposer un style vestimentaire. Grâce à Yves Saint Laurent, le pantalon prend rapidement le dessus et, dès 1965, la production de pantalons dépasse celle des robes et des jupes. Vigarello se demande: «Et si la victoire du pantalon sur la robe était due au fait qu’elle a bien trop longtemps été un signe de contraintes pour les femmes? »
Mais le pantalon féminin n’est pas accepté partout. En 2009, une journaliste soudanaise, Lubna Hussein, encourt quarante coups de fouet pour avoir porté un pantalon, un vêtement d’homme, en public. La loi islamique nous ramène parfois à la mentalité des temps bibliques…

Les vêtements que portent les politiciennes sont scrutés à la loupe et toujours critiqués, alors que la tenue des hommes ne suscite pas de commentaire. Le vêtement rend à la fois visible une femme en même temps qu’il l’ostracise. Selon Simone de Beauvoir (1908- 1986), la fixation autour du vêtement signalerait l’ambiguïté du statut du sujet féminin dans la sphère publique. Dans Le deuxième sexe (1949), l’écrivaine et philosophe existentialiste soutient que la femme est à la fois sujet de sa propre existence et objet du désir masculin. De plus, les politiciennes mettent à mal le boys’club de la politique traditionnelle: leur présence opère un changement culturel dans l’arène politique. Ce qui suscite des résistances de tous genres, jusqu’aux réflexions et attitudes les plus machistes.

En 2012, la robe colorée portée par Cécile Duflot, ministre du Logement, a déclenché sifflets et remarques déplacées de la part de ses homologues masculins. Pourtant, c’était une tenue de ville appropriée. Duflot a d’ailleurs déclaré, à la suite de cette affaire: «Je suis un baromètre à réacs. Certains de mes collègues arrivent en blouson de cuir à l’Elysée, d’autres en jean et pull à l’Assemblée, ça ne suscite rien. Moi, j’aimante quelque chose».

À peine le bébé est-il né que les commerces proposent de le vêtir de manière qu’on identifie immédiatement son sexe, comme s’il fallait le « classer » le plus vite possible dans l’une de ces deux catégories. Or cela n’a pas toujours été le cas. Pendant longtemps, les bébés étaient emmaillotés, puis les petites filles et les petits garçons ont porté le même type de vêtement, une robe de coton blanc, jusque vers l’âge de 6 ans. Cette pratique a perduré jusqu’à la fin du 19e siècle pour des raisons de commodité. La forme permettait en effet de changer l’enfant plus facilement, la matière et la couleur de faciliter le nettoyage.

Selon Christine Bard, il est possible d’établir un parallèle entre le masculin prétendument «neutre» de la langue française et les vêtements «unisexe». Une personne vêtue avec des habits non genrés aura tendance à sembler masculine, selon les normes actuelles. C’est sans doute pour cette raison que les personnages féminins sont toujours représentés avec des attributs clairement féminins dans les ouvrages pour enfants, les bandes dessinées etc.
On assiste ainsi à une tendance à l’hypersexualisation des vêtements des petites filles (petits talons, push-up, dos nus, etc.). Les filles sont davantage visées par des injonctions vestimentaires que les garçons, dès le plus jeune âge, de surcroît contradictoires.

Les réactions ne sont pas les mêmes face à un slip ou un caleçon qui dépasse d’un jean. Leur tenue aura tendance à susciter des commentaires, qu’elle soit jugée trop provocante ou trop informe. Et une fois que ces petites filles auront grandi, la société les incitera à se demander si leur tenue est bien adaptée à la situation, par exemple lors des procès pour viol.

En résumé, même si les filles et les femmes ont plus de choix dans leur habillement, elles sont plus contrôlées, critiquées, stigmatisées. De l’école, comme on le voit dans l’affaire du «t-shirt de la honte» jusque sur le lieu de travail. Décidément, l’égalité n’est pas encore acquise…