Hache de grève déterrée

Genève • En s’attaquant aux conditions de traitement de la fonction publique et du secteur subventionné, le Conseil d’Etat s’est lancé dans un conflit social à l’issue incertaine.

Plus de 6000 manifestant.e.s se sont retrouvé.e.s à la Place Neuve au centre de Genève pour conspuer la politique d’austérité du gouvernement. (JSo)

Le personnel de l’Etat et du secteur subventionné n’a pas goûté les mesures envisagées par le Conseil d’Etat (CE) genevois. Elles prévoient notamment une baisse linéaire de 1% sur les salaires, le blocage des annuités et augmentations pour 2021 et 2023, ainsi qu’une suspension de l’indexation des salaires sur les prix pendant minimum quatre ans. De plus, elles prévoient une hausse de la part salariale pour les cotisations auprès de la Caisse de prévoyance de l’Etat de Genève (CPEG) et des caisses de la police et des transports publics. Ce relèvement chez les employé.e.s serait contrebalancé par une baisse pour l’employeur, qui aboutirait à des parts respectives de 42 et 58%.

Indignation du Cartel intersyndical

A l’issue d’une assemblée du personnel, le mardi 6 octobre, le Cartel intersyndical s’est exprimé sur ces mesures par une résolution. «Alors que dans le canton de Fribourg, la fonction publique est remerciée pour son engagement durant la crise sanitaire via l’octroi d’une «prime Covid», le CE profite, lui, du contexte pour faire passer des baisses de salaires sans précédents. Genève est d’ailleurs le seul canton à mener une attaque d’une telle ampleur», s’est indigné le Cartel. Il rappelle que le personnel de l’Etat et du secteur subventionné est resté au front durant la période aiguë de la première vague pandémique afin d’assurer les prestations à la population. Pour contrer cette attaque vue de grande ampleur, l’assemblée générale du personnel a donc décidé la grève et la mobilisation.

Large manifestation

Les hostilités se sont ouvertes le 15 octobre. Les employé.e.s ont été invités à cesser le travail dans l’après- midi pour se grouper et rejoindre une grande manifestation prévue au départ de la Place de Neuve. Si au départ la foule est clairsemée, elle se densifie rapidement. Un premier cortège est arrivé des Hôpitaux universitaires «Arrêtez de presser, il n’y a plus du jus!», «Héros un jour, trop chers le lendemain», pouvait-on lire sur des banderoles portées par des blouses blanches. Puis les étudiant.e.s et le personnel de l’Université se joignent à la lutte, en musique et avec un mes- sage, «Attaque des postes, la formation riposte!».

Petit à petit, travailleuse sociale après travailleur du maintien à domicile, enseignant du primaire après enseignante  du secondaire, la place se remplit. Alors qu’ils.elles étaient près de 4000, les prises de parole débutent.
«Infirmière désabusée de la fatigue accumulée» Une femme lit d’abord sa «lettre d’une infirmière désabusée» dans laquelle elle évoque son vécu de la crise. Elle y mentionne sa peur, celle des patients et de leurs proches, leurs douleurs. Avant de souligner, qu’après ces moments difficiles, il a fallu redémarrer ce qui avait été suspendu au prix d’une activité à «120%». Et ce malgré la fatigue accumulée. «Ne trouvez-vous pas que l’on a fait preuve d’une solidarité exceptionnelle?», demande-t-elle à la foule- Ceci en guise de conclusion saluée par un tonnerre d’applaudissements.

A sa suite, de nombreuses voix se succèdent. Toutes avec le même mot d’ordre, le ras-le-bol. Cette impression qu’il «faut» toujours «taper» dans les mêmes «pots»: la santé, l’éducation, la culture et le social, alors que «de l’argent il y en a, dans les caisses du patronat!». C’est d’ailleurs ce que relève Jean Burgmeister, d’Ensemble à Gauche, en rappelant les «cadeaux fiscaux» tels que la réforme fiscale et du finance- ment de l’AVS (RFFA) dont l’application «nous coûtera plus de 100 millions l’année prochaine. Et pire ,jusqu’à 400 millions par la suite… de l’argent qui pourrait financer les services publics». «Nous sommes en lutte pour le bien commun, en lutte pour la population qui bénéficie des prestations. Si les conditions se dégradent alors les prestations se dégraderont!», lance-t-il à la foule avant le départ du cortège. La colonne humaine s’est ensuite élancée en direction de la vieille ville. Alors qu’elle traversait le centre, elle s’est mise à gonfler, sans doute grâce à des retardataires, pour atteindre près de 6000 personnes.

A l’arrivée, Place Saint-Antoine, il aura fallu attendre près de 45 minutes entre le premier et la dernière manifestante. Une fois tassé.e.s sur l’allée arborée en face du Palais de Justice par une police visiblement inquiète de voir une telle masse de citoyen.ne.s devant leur propre institution, place a été faite pour un vote à main levée. A la quasi-unanimité, l’assemblée a décidé de la poursuite des hostilités, à défaut du retrait des projets de lois et de l’entrée dans «une négociation véritable».

Sortie de crise attendue

Le Syndicat des services publics (SSP) salue cette «excellente» première mobilisation. Il se déclare «particulièrement impressionné par le nombre conséquent de femmes et de jeunes présent.e.s». Mais condamne toutefois le fait que le service minimum exigé dans certains secteurs de l’Etat, ait empêché l’exercice légitime du droit de grève. Fort de ce premier coup de semonce, il exige sans délai du CE qu’il retire l’ensemble des mesures envisagées. Sans oublier d’ajouter que «le CE se doit de dépo-ser des projets de loi afin de reporter l’application de la RFFA, de suspendre de manière provisoire une large série d’exonérations et, en premier lieu, le bouclier fiscal». Au final «une sortie de crise par le haut et solidaire est impérative!»

La prochaine bataille est annoncée par le Cartel intersyndical pour le jeudi 29 octobre dès 8 heures avec journée de grève et nouvelle manifestation. Si la météo s’annonce mitigée, le vent devrait à nouveau souffler vers la gauche. En effet, la crise sanitaire a revalorisé l’image sociale des métiers secteurs tels la santé, l’éducation, le social et la culture. Les dernières votations, qui ont instauré un salaire minimum cantonal, témoignent d’un changement de cap vers la direction opposée à celle fixée par le CE. Si ce dernier ne prend pas garde, il pourrait finir par mobiliser par-delà le public, risquant alors de perdre plus que des plumes.