La pandémie les a rendus plus riches

Covid-19 • Alors que la crise paupérise la planète à haut débit, un noyau de nantis voit croître démesurément ses richesses. Un rapport révélateur de l’Union de Banques Suisse (UBS) ne pointe
aucune redistribution à l’horizon. Au détriment de l’humanité et des systèmes de santé. (Par Sergio Ferrari, Traduction: Hans-Peter Renk)

Il s’agit des 2’000 personnes les plus riches de la planète. Exactement, 2’189 milliardaires (31 de plus qu’en 2017), qui à la fin juillet 2020 déclaraient une fortune totale de 10’200 milliards de dollars US. Un chiffre équivalent aux revenus de 4,6 milliards de personnes dans le monde entier. (Elles sont basées aux USA, en Europe, Amérique latine. Mais aussi en Chine connaissant la plus forte croissance de multimilliardaires de la planète en 2020, ndlr).
Covid-19, juteux commerce pour la Tech

Une partie de cette élite, plus particulièrement les entrepreneurs actifs dans les secteurs technologique, sanitaire et industriel, profite opportunément des bénéfices additionnels générés durant la crise. Les 37 milliardaires résidant en Suisse sont un exemple de cette tendance à l’enrichissement accéléré. Entre avril et juillet 2020, leur patrimoine a augmenté de 29% pour atteindre globalement 123,5 milliards de francs.

Ces chiffres sidérants ont été révélés en octobre, grâce à un rapport élaboré conjointement par UBS, la plus importante banque dans la gestion de fortunes, et la firme britannique PricewaterhouseCoopers (PwC), l’une des quatre plus grandes entreprises dans le secteur du conseil financier et comptable. Il s’agit de la 7e étude menée par UBS sur les avoirs des 98% super-riches à l’échelle internationale. Les entrepreneurs du secteur de la santé ont vu leur patrimoine augmenter jusqu’à 50% durant ces derniers mois. Ceci grâce à leurs paris sur les nouveaux traitements, les innovations de diagnostic et, particulièrement, la recherche sur le Covid-19. Néanmoins, les boss en technologie détiennent la plus grande fortune, soit 1,8 milliard de dollars. Selon France 24, Elon Musk – directeur général de Tesla et SpaceX -a également bénéficié économiquement de la pandémie. «Alors qu’il critiquait la distanciation sociale sur Twitter, il a quadruplé sa fortune, la faisant croître à 103 milliards de dollars», signale la chaîne française.

Bezos, Amazon et cie

D’après le rapport conjoint UBS et PwC, les entreprises technologiques ont été les plus privilégiées durant ces derniers mois. Bien que le document ne cite aucun nom, la chaîne de télévision française assure que Jeff Bezos (Amazon), Mark Zuckerberg (Facebook), Jack Ma (Alibaba) et Steve Ballmer (ex-PDG de Microsoft) figurent parmi les grands gagnants de cette conjoncture. Les nouveaux gains proviennent quasi dans leur totalité de transactions financières.

Les potentats du secteur technologique ont bénéficié des profonds changements que la crise sanitaire et le confinement «ont provoqué dans les habitudes de consommation et de travail. Le succès des applications de vidéoconférence comme Zoom, et les plateformes d’achats en ligne, comme Amazon, ont convaincu les investisseurs de plaider pour toute chose qui brille technologiquement» selon France 24.

La richesse et la pauvreté, les multimillionnaires et les indigents agissent dans la même éprouvette planétaire et s’entremêlent par des vases communicants. Le gouffre entre les plus riches et le reste de la planète est toujours plus abyssal. Pour illustrer ce lien croissant d’inégalités, Oxfam (confédération de 20 organisations caritatives indépendantes à travers le monde, ndlr) montre dans un rapport de janvier dernier que les 22 hommes les plus fortunés possèdent davantage de richesses que toutes les femmes réunies du continent africain. Le 1% le plus riche de la Terre concentre plus du double de la richesse que les 6,9 milliards d’habitant.e.s de la planète…

La fabrique de la pauvreté

De son côté, la Banque mondiale a conclu dans une étude début octobre, qu’en raison de la crise actuelle, entre 88 et 115 millions de personnes recevront en 2020 moins de 1,90 dollar par jour. Des montants qui les plongeront dans une extrême pauvreté. Vu l’actuelle récession économique estimée à 5,2% pour 2020, le nombre de personnes en situation de radicale précarité pourrait atteindre 150 millions en 2021.

«Le paradoxe, c’est que cette crise n’affecte pas tous également», affirme Oxfam dans son rapport. Qui paie la facture? «Depuis le début des confinements», huit nouveaux milliardaires sont apparus en Amérique latine, soit un nouveau toutes les deux semaines. En d’autres termes, la fortune des 73 multimillionnaires latino-américains a passé à 48,2 milliards depuis le début de la pandémie à fin juillet. Un paradoxe selon Oxfam, si l’on estime que dans le continent, 52 millions de personnes deviendront pauvres et que 18 millions perdront leur emploi cette année. Pour mieux le comprendre, cette augmentation de la richesse chez une élite privilégiée correspond… à neuf fois l’intervention du Fonds monétaire international (FMI) avec les prêts d’urgence accordés jusqu’ici sur le continent latino-américain. L’incapacité des gouvernements du sous-continent à taxer les grosses entreprises et les personnes les plus riches sape la lutte contre le coronavirus, la pauvreté et les inégalités, selon ce même rapport. Oxfam estime que l’Amérique latine perdra 113,4 milliards de dollars en recettes fiscales cette année, soit 59% des dépenses de santé publique de la région.

Redistribution des richesses

Ce précipice planétaire remet en question les politiques étatiques et les recommandations monétaristes et fiscales émanant des organisations internationales pour pallier la crise. Le point clé du débat général déjà en cours dans de nombreux pays, c’est l’impôt sur les richesses. Dans son analyse de la situation latino-américaine, Oxfam a des propositions concrètes. L’ONG suggère «d’appliquer en 2020 un impôt sur le patrimoine net de 2% à 3,5% pour les revenus supérieurs à un million de dollars».

Fort de cet impôt, les gouvernements latino-américains percevraient jusqu’à 14,2 milliards de dollars. Cette somme pourrait être investie dans la santé publique et la protection sociale. En octobre, des porte-parole du fort peu progressiste Fonds monétaire international (FMI) envisagèrent la nécessité de faire avancer une politique fiscale particulière. «Le FMI appelle à élever les impôts des plus riches et des entreprises rentables pour payer la facture de la crise», titrait El Pais dans une édition de mi-octobre.

Bien que ce ne soit pas une nouveauté, la réalité des fortunes multipliées et des richesses accumulées de manière astronomique en ces temps de pandémie aiguise la réflexion sur la redistribution des revenus dans chaque nation. Cela implique de réexaminer des thèmes sensibles. Citons les impôts sur la fortune et les bénéfices, la nécessité de rétablir une transparence active. Mais aussi le courage politique d’affronter l’évasion fiscale et la fuite des capitaux, ainsi que de définir une position ferme des États relativement à la dette extérieure.