Disparus et deuils irrésolus

Au Mexique, des familles d’étudiants exécutés demandent justice. Une fiction guatémaltèque à base documentaire suit les mères de victimes de la junte militaire recherchant les dépouilles de proches.

Vivos d'Ai Weiwei.(Courtesy of Sundance Institute)

Dans « Vivos » (« Vivants »), l’artiste plasticien, cinéaste et activiste chinois Ai Weiwei cisèle des plans fixes méditatifs. Il inscrit dans leur environnement les proches de victimes d’une tragédie survenue au Mexique, le 26 septembre 2014. Un convoi de bus transportant des élèves enseignants militants vers la capitale pour commémorer le massacre d’étudiants de Tlatelolco (1968) est brutalement intercepté par des policiers municipaux liés au crime organisé et des assaillants masqués. Six étudiants sont assassinés, quarante-trois autres enlevés. Ils n’ont jamais été retrouvés.

La réalisation se concentre sur les familles des disparus demandant justice au sein d’une société minée par une corruption institutionnelle. Ces proches sont comme piégés dans des limbes hantés par une douleur rémanente. Une sorte de purgatoire du deuil suspendu. Les êtres sont filmés au quotidien. Leurs témoignages et réflexions sur le poids du deuil, des années de souffrances et d’hypothèses sur la tragédie infusent en voix off. Sont aussi convoqués journalistes, experts juridiques et une psychologue précisant que les victimes étaient issues de populations indigènes.

«Affaire des 43»

Optant pour un détachement face aux tourments, le film tient à distance l’arc documentaire habituel mêlant compassion et résilience. Ceci pour se concentrer sur une photographie plasticienne de lieux saisis en longs plans fixes qu’accompagne un roman de voix agencé tel un choeur conteur. Ce sentiment élégiaque et tragique culmine dans un esprit communautaire. A Mexico, familles et étudiants protestent ainsi entre chagrin, colère et espérance de la restitution des victimes sous les poignants cris de ralliement donnant au film son titre: «Vivos, se los llevaron. Vivos, los queremos» (Vivants, ils les ont emmenés. Vivants, nous les voulons).

L’image qui se dégage est celle d’un échec de la guerre aux cartels massivement soutenue par les États-Unis. Elle a engendré un niveau inouï de violence homicidaire. Depuis 2006, il y eut ainsi 250’000 morts et 40’000 disparus dans la conflit contre la drogue selon le documentaire. Le «drame des 43» est le scandale récent le plus retentissant du pays. Ceci en raison de l’impunité de ses auteurs, des implications étatiques à de multiples échelons, de la police (municipale, fédérale) et de l’armée. Sans oublier la faillite de la justice. Malgré une corruption endémique, les choses évoluent lentement sous la présidence de Lopez Obrador. Alors qu’aucun fonctionnaire n’a encore été jugé, le Président a annoncé, le 27 septembre dernier, que «les militaires impliqués seront jugés». Sans toutefois mentionner leur nombre et identité.

Procès problématiques

Nuestras Madres (Nos Mères) signé César Díaz oscille du récit intime au drame collectif et à l’injustice systémique. Guatemala, 2018. Le pays vit au rythme du procès des militaires à l’origine de la guerre civile (1960-96) ayant fait 200’000 morts et 45’000 disparus, essentiellement des Indiens. Ernesto, anthropologue à la Fondation médico-légale, travaille à l’identification des disparus. Un jour, à travers le récit d’une vieille femme indigène, le jeune homme croit déceler une piste qui lui permettrait de retrouver la trace de son père, guérillero mort pendant le conflit armé.

A suivre le cinéaste en entretien, dans un pays gouverné par le conservateur Alejandro Giammattei et voulant tirer un trait sur son passé génocidaire, «presque tous les procès relatifs aux droits humains ont été interrompus. Or, ce n’est pas du fait de la pandémie. C’est à cause de la réticence du système judiciaire à aller de l’avant avec de tels procès. Il y a encore beaucoup de personnes impliquées dans des crimes contre l’humanité qui pourraient être poursuivies, mais cela ne se produit pas.»

Idéaux révolutionnaires évanouis

Lors de l’anniversaire de la mère d’Ernesto, les invités chantent l’Internationale. Aujourd’hui la gauche révolutionnaire et ses idéaux semblent fort lointains. Pour le réalisateur, «les idéaux sont toujours là. Mais ma génération notamment n’a pas les moyens d’atteindre des objectifs, comme la justice sociale, l’équité, la liberté. A mon sens, la génération de mes parents croyait en certains idéaux. Et ils leur ont sacrifié leur vie. Aujourd’hui, il n’existe pas de grand mouvement luttant pour les droits humains au Guatemala.»

Le jeu des acteurs, pour la plupart des gens ayant vécu la perte d’un proche, privilégie l’intériorité et la retenue. Le cinéaste précise: «Nous avons besoin de la reconnaissance de l’État comme responsable de crimes contre l’humanité, de la vérité sur les personnes disparues et tuées, de l’ouverture des archives militaires, de la mise sur pied d’une commission pour transmettre l’histoire aux nouvelles générations dans les écoles et les manifestations. Mais aussi la création et la célébration d’une journée des victimes».

Nuestras Madres et Vivos à voir en ligne sur filmaramlat.ch. Filmar en America latina. Jusqu’au 29 novembre.