#MeToo en Égypte et ailleurs

La chronique féministe • Partout, l’affaire Weinstein a libéré la parole et le mouvement #MeToo se répand.

Il y a des réveils particulièrement difficiles. J’écoute chaque jour la RSR1 au levé jusqu’à 8h30, puis je passe sur France-Inter jusqu’à 9h. Vendredi 20 novembre, à peine éveillée, j’entends une nouvelle qui m’a donné envie de replonger dans le sommeil. La situation en Égypte des victimes de violences sexuelles qui, au lieu d’être protégées, se retrouvent sur le banc des accusé.e.s.

Partout, l’affaire Weinstein a libéré la parole et le mouvement #MeToo se répand. Aussi sur les réseaux sociaux égyptiens. Selon UN Women, en 2013, 99% des Égyptiennes disent avoir déjà vécu une forme de harcèlement sexuel, notamment dans les transports en commun, qui sont signalés comme le deuxième endroit où les femmes sont le plus sujettes à ce type d’agression. 62% des Égyptiens avouent avoir déjà harcelé sexuellement une femme.

Ariane Lavrilleux, correspondante du journal Le Temps au Caire, écrit sur le sujet (11.11.20). «Moi aussi j’ai été harcelée». Sur les réseaux sociaux, des centaines d’Égyptiennes ont scandé ces cinq mots, devenus les plus partagés ces derniers mois. Les noms de notables, journalistes, étudiants de fac huppée se sont retrouvés associés à des récits de harcèlement sexuel et de viol. Un mouvement inédit qui a déclenché l’ouverture d’enquêtes dans tout le pays.En 2104, une jeune Égyptienne a accusé un groupe de riches Cairotes de l’avoir droguée et violée en marge d’une soirée privée, dans un hôtel de luxe. Ces faits viennent d’être révélés à la faveur de la vague #MeToo. Les photos et noms des violeurs présumés ont circulé sur la Toile pendant des semaines, laissant croire que la peur avait changé de camp. Au début de l’enquête, cinq suspects réputés intouchables, car proches du pouvoir, sont arrêtés.

Hélas, les victimes et leurs soutiens ont vite déchanté. Les services de sécurité égyptiens transforment l’affaire de viol en «orgie sexuelle». Les médias qu’ils contrôlent lancent une vaste campagne de diffamation pour assimiler victimes et agresseurs présumés. Leurs photos privées se retrouvent sur les réseaux sociaux et les sites proches du gouvernement: leur style de vie serait en contradiction avec les valeurs familiales du pays.

Le 29 août, le procureur chargé de l’enquête sur le viol en réunion prend un virage à 180 degrés. Six témoins et proches de la victime sont arrêtés. «Tout à coup, les témoins sont devenus les accusés. La police a débarqué au milieu de la nuit, en défonçant leurs portes et en prétendant qu’elle voulait les protéger et écouter leur témoignage, sauf que leurs téléphones ont été immédiatement confisqués et fouillés», raconte une personnalité féministe, proche des témoins, qui souhaite rester anonyme. Au lieu d’être emmenés au poste de police, ces trois hommes et trois femmes sont envoyés dans des cellules secrètes. Des examens anaux sont imposés aux hommes interpellés pour tenter de prouver leur homosexualité – qui n’est pas illégale en Égypte, mais souvent criminalisée comme un acte de «débauche». Insultée par ses geôliers, une des femmes est traumatisée par les privations de nourriture et de produits d’hygiène féminine. Un climat de peur se répand. Leurs avocats refusent d’être identifiés comme de répondre aux médias.

Le message envoyé par les autorités judiciaires vise non seulement à empêcher les victimes de porter plainte, mais également à intimider toutes les personnes qui soutiennent la voix des victimes, car elles peuvent être accusées de «ternir l’image de l’Égypte».Cependant cette contre-offensive judiciaire n’a pas éteint la colère des Egyptiennes. «J’ai passé toute ma vie à être harcelée, suivie dans la rue, au point que cela devienne la norme. Malgré tous les obstacles qui se dressent contre nous, nous avons toutes décidé de dire «ça suffit», tonne Marie-Jane, étudiante de 22 ans. Son message posté sur Facebook, pour alerter contre un harceleur de son campus, avait encouragé des centaines de camarades à témoigner à leur tour. Accusée d’avoir étouffé des plaintes antérieures d’étudiantes, l’université a lancé une plateforme pour mieux recueillir leur parole et une enquête interne sur le harcèlement.

Plusieurs étudiants ont écopé d’un semestre de suspension pour avoir créé des comptes WhatsApp sur lesquels s’échangeaient des photos d’étudiantes dénudées sans leur consentement. Si ces sanctions limitées lui paraissent «risibles», Marie-Jane se réjouit d’avoir participé à une nouvelle prise de conscience, en particulier chez les garçons, première étape d’un long combat contre une mentalité arriérée.

En Iran aussi (Alireza Seeb, Téhéran, 16.9.20 pour Le Temps). Depuis quelques semaines, de nombreuses femmes dénoncent, sur les réseaux sociaux, les agissements de leurs collègues, professeurs, amis, thérapeutes ou même, dans un cas, d’un activiste des droits des femmes (!), qui abusent de leur position de pouvoir. Les premiers témoignages – «J’ai été touchée dans l’obscurité», «on m’a donné une boisson avec un somnifère», «mon avocat m’a étreinte de force» – ont eu un effet d’entraînement. Après des siècles de traumatismes vécus en silence, les dénonciatrices s’accordent sur un fait nouveau: il n’y a pas de honte à survivre à ce genre d’acte.

Mais la loi iranienne est davantage l’adversaire des femmes que leur alliée. Une victime qui avait porté plainte pour viol a été retrouvée morte… En quatre décennies, la République islamique a renforcé son emprise sur chaque aspect de la vie quotidienne, imposant aux femmes son code vestimentaire connu sous le nom de «hidjab obligatoire». Les dirigeants ont propagé l’idée qu’une femme relâchant son hidjab s’expose à des pulsions sexuelles incontrôlables (!). Le système pénal est incompétent et défaillant. Tant que les hommes considéreront leur femme comme leur propriété, il n’y aura pas de progrès.

«Si nous nous battons sans relâche, le mouvement gagnera en reconnaissance comme Black Lives Matter aux États-Unis», dit une Iranienne.

En Russie, depuis 2017, les violences conjugales ne sont plus considérées comme des délits.

En Suisse, l’affaire du harcèlement sexuel révélée récemment concerne la SSR dans son entier: RTS, RSI, SRF, RTR, SWI.

Bref, dans tous les pays du monde, les femmes sont considérées comme de la chair sexuelle, et il faudra une forte volonté politique pour faire évoluer les mentalités et combattre le machisme issu de nos sociétés patriarcales, avec l’aide des hommes les plus éclairés (il y en a!).