Une vie auprès des «laissés-pour-compte»

Neuchâtel • Pasteur, tiers-mondiste, écologiste et gauchiste, l’ancien secrétaire romand de l’oeuvre d’entraide protestante «Pain pour le prochain», Théo Buss raconte son itinéraire marqué par de multiples activités militantes.

Militant de la première heure, Théo Buss a arpenté le monde entier avant de poser ses pénates à La Chaux-de-Fonds.(DR)

Les engagements de Théo Buss, né en 1942 à Zurich, s’inscrivent dans sa foi chrétienne. Une foi que ne partage pas son préfacier, Nils Andersson, qui se sent pourtant lié à lui par leur inlassable activité commune au service des humiliés et des exploités. Le livre du pasteur militant, Justice au coeur, est certes touffu. Il se compose en effet d’un récit de vie, mais aussi de résumés de livres qui l’ont inspiré, de longs développements sur le martyre des Palestiniens ou sur les dessous de l’opération Condor chapeautée par les Etats-Unis, de professions de foi écologistes. Ce mélange des genres et cette accumulation de cris d’indignation peuvent, il est vrai, finir par provoquer chez le lecteur une sorte d’overdose. Il n’en reste pas moins que le parcours de l’homme est admirable.

«La rébellion dans le sang»

Théo Buss raconte d’abord ses années de formation, marquées par les Unions chrétiennes de jeunes gens, la Faculté de théologie, le mouvement international des étudiants, dont il apprend qu’il est noyauté par la CIA. Le jeune pasteur se réclame de Mai 68, il dit avoir «la rébellion dans le sang». Il s’inscrit d’abord à la section neuchâteloise du Parti socialiste, avant d’adhérer à SolidaritéS. Il sera député au Grand Conseil de 2009 à 2013. Il est aussi actif dans le mouvement oecuménique, pour lequel il fera plusieurs missions. Il effectue au Locle un stage en usine, rejoignant ainsi l’idéal des prêtres ouvriers au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Il participe à l’aventure des Magasins du Monde. Le livre donne ainsi des informations intéressantes sur un grand nombre de mouvements et d’actions, qu’il nous est impossible de citer tous ici.
Entre 1977 et 1999, Théo Buss séjourne à deux reprises en Bolivie, qui est alors sous la coupe d’un dictateur soutenu par les Etats-Unis, le général Banzer. Il rend hommage dans son livre à de nombreux combattants pour la liberté et la justice, dont plusieurs mourront assassinés, parfois après avoir été atrocement torturés. Il souligne les aspects positifs de la présidence d’Evo Morales, sans cependant cacher sa déception face à ses dérives autoritaires et au mépris des droits des indigènes amazoniens.
Puis une série de chapitres est consacrée à Edward Said (1935-2003), brillant intellectuel et penseur palestinien, qui a inspiré Théo Buss par sa dénonciation du «pays d’apartheid» qu’est devenu Israël. Lui-même a pu constater sur place la situation d’oppression que subissent les Palestiniens, lors d’un séjour de trois mois en 2011, comme membre d’une équipe d’observateurs mandatés par le Conseil oecuménique.

Campagne latino-américaine

La troisième partie de l’ouvrage nous ramène en Amérique latine, en disséquant les dessous criminels de la fameuse Opération Condor, organisée par les Etats-Unis. Le cinéaste Costa-Gavras l’a fait connaître au grand public par son film Etat de siège. Théo Buss relate nombre d’assassinats politiques exécutés dans le cadre de cette vaste campagne de répression. Puis l’auteur raconte ce qu’il nomme «l’odyssée du mouvement oecuménique», en soulignant que le Conseil oecuménique des églises (COE) fut longtemps «un phare dans les luttes de libération». Le pasteur Buss ne craint pas les prédications engagées: ainsi lorsqu’en 2003, à la Collégiale de Neuchâtel (lors d’un culte radiodiffusé), il oppose Max Havelaar et sa dénonciation du colonialisme hollandais en Indonésie, à Pierre Alexandre DuPeyrou, qui tirait l’essentiel de ses rentes de l’exploitation des esclaves noirs qu’il possédait au Surinam…
Changeant encore une fois de sujet (même s’il y a un lien évident entre les différents engagements de Théo Buss), la suite de l’ouvrage est consacrée à l’écologie et à la décroissance, à laquelle l’auteur adhère. Enfin ce dernier dénonce avec vigueur les thèses ultralibérales issues de la Société du Mont-Pèlerin fondée en 1947, avec la participation, notamment, de Friedrich von Hayek et Milton Friedmann, les grands inspirateurs de Donald Reagan, Margaret Theatcher et Augusto Pinochet.

Pour finir, Théo Buss résume les multiples engagements qui ont rempli et continuent de remplir sa vie, et dont certains n’ont pas été évoqués dans notre résumé: la défense des réfugiés, Amnesty International, la lutte contre les méfaits de l’amiante et l’addiction collective au smartphone, «nouvel opium du peuple» selon lui. On voit donc que ce livre évoque une série de sujets très différents: c’est là son grand intérêt, c’est peut-être là aussi que réside sa faiblesse formelle.

Théo Buss, Justice au coeur, Vevey, Editions de l’Aire, 2020, 371 p.