Vaccins: une course à l’aveugle

Covid-19 • La course au vaccin contre le nouveau coronavirus connaissant plusieurs générations fait rage. Mais elle n’est pas sans effets délétères et raccourcis périlleux, inégalités et risques.

«Si on veut enrayer la pandémie, le vaccin est une solution. Il sera d’une utilité certaine pour les personnes à risque ou les soignant.e.s, soit les personnes les plus affectées par la maladie, du fait qu’elles sont en première ligne. Au moment de la première phase de vaccination en 2021, on peut estimer que 25% de personnes auront développé la maladie. Si on arrive à un taux de vaccination de 40% en Suisse, on pourrait avoir un taux d’immunité à l’automne de 65% face à une troisième ou quatrième vague. Mais il faut être conscient que l’on n’a pas le recul nécessaire pour savoir la durée de l’immunité obtenue par le vaccin et que l’on est à la merci de l’information du producteur qui devrait faire preuve de transparence totale, ce qui n’est pas encore acquis.» Pour Bernard Borel, pédiatre et ancien député du POP, il ne fait pas de doute que les annonces de Moderna Therapeutics et Pfizer/BioNTech ouvrent une perspective face à la pandémie.

Annonces fracassantes et…

Rappelons que les deux sociétés, qui ont vu leurs actions à la bourse grimper, viennent de proclamer l’efficacité à 90% de leur vaccin basé sur une technologie révolutionnaire, l’acide ribonucléique messager (ARNm) de synthèse qui n’a jamais été homologué pour cet usage jusqu’ici. Dans le sillage, les Anglais d’AstraZeneca claironnent les bons résultats provisoires d’un essai en phase III mené par l’université d’Oxford. Il «a généré des réponses immunitaires robustes similaires contre le virus du SARS-CoV-2 dans toutes les tranches d’âge adultes».

Une dizaine d’autres préparations sont en phase de probation comme le Spoutnik V russe, le CoronoVac et le Convidicea chinois ou même une préparation cubaine. Ces trois premières annonces officielles ont été saluées par tous les gouvernements, dont certains comme l’Allemagne, l’Espagne ou l’Angleterre ont déjà prévu des plans de vaccinations massifs dès le printemps.

Ces annonces fracassantes suscitent cependant des réticences, qui n’émanent pas toutes d’invétérés conspirationnistes antivaccins. L’efficacité du produit est tout d’abord sujette à caution chez un certain nombre de professionnels du secteur. «Moderna et Pfizer n’ont pas un nombre suffisant d’infectés pour dire que l’efficacité est si haute. Les pourcentages annoncés baisseront à l’avenir et ces entreprises doivent évaluer l’efficacité de leur vaccin à deux ans», estime Martina Bécares, chercheuse à l’Université autonome de Madrid dans les colonnes de Publico. «L’unique information se base sur des communiqués de presse. Ils mettent en avant le positif, parce que leur but est plus entrepreneurial que scientifique», abonde Isabel Sola du Centre national de Biotechnologie de Madrid.

Tout en se félicitant de la découverte de potentiels vaccins basés sur une nouvelle technologie, Bertrand Kiefer, rédacteur en chef de la Revue médicale suisse trouve aussi plutôt «malsain» cette forme de communication, qui s’adresse «en priorité à la bourse». La question de la durée d’efficacité du traitement dans le temps reste également en suspens.

Chèque en blanc aux industriels

Basé en France, l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament s’est fendu d’une tribune dans Mediapart (25.11.20) pour dénoncer cette course à l’antidote. Premier grief, la compression des procédures. «Les États, et d’autres, ont décidé de lancer simultanément toutes les phases de recherche habituellement distinctes et successives. Sont ainsi compressées des procédures pourtant indispensables à la sécurité et à l’évaluation de l’efficacité de tout produit de santé», relève ainsi l’organisation. Elle pointe aussi la «logique de compétition» mise en oeuvre dans cette course au vaccin. «Avec une plus grande transparence et une meilleure coordination entre les gouvernements et les États, nous pourrions développer une palette de vaccins complémentaires, dont on aurait besoin pour différents publics», estime-t-elle.

Dernier point, le fait que les États aient signé un «chèque en blanc» aux industriels pour mener à bien leurs recherches, sans qu’ils aient accès aux protocoles de recherches d’essais. Une critique que fait sienne aussi Médecins sans frontières. L’ONG exige des sociétés pharmaceutiques qu’elles soient aussi transparentes sur tous les accords de licence pour les vaccins contre le Covid-19. Récemment, le Financial Times a révélé les termes d’un contrat entre le groupe pharmaceutique AstraZeneca et l’organisme public de recherche brésilien Fundação Oswaldo Cruz (Fiocruz). En se donnant le droit de déclarer la fin de la pandémie dès juillet 2021, la firme pourrait vendre après cette date un vaccin entièrement financé par le public à un prix élevé (jusqu’à 20% de plus que le coût réel de production du vaccin, selon des sources ayant eu accès à cette licence), explique l’organisation internationale.

Hold-up des pays riches

«Beaucoup d’argent public a été investi pour développer le vaccin et la fabrication à grande échelle. On ne comprendrait pas que les vaccins commercialisés le soient à des prix qui pèsent de façon importante sur les systèmes de santé et d’assurance maladie», prévient Bernard Borel. Il ajoute: «Des prix prohibitifs rendraient aussi ces vaccins inaccessibles dans des pays en développement». D’autant plus que les pays occidentaux ont fait main basse sur la production.

La Suisse, par exemple, a réservé 10 millions de doses, soit 5,3 millions auprès d’AstraZeneca, 4,5 millions auprès de Moderna et 1,7 million auprès du programme mondial d’achats Covax. Ce programme impulsé par l’Organisation mondiale de la santé avec Gavi Alliance, organisation de l’ancien patron de Microsoft Bille Gates, doit permettre l’achat groupé et la «distribution équitable» de futurs vaccins contre la Covid-19 dans le monde. Il prévoit de réunir 35 milliards de dollars et comptera une participation de la Suisse à hauteur de 20 millions de francs.

Où sont les pharmas?

«Les États les plus puissants comme les USA et les plus riches se servent en premier. Ce qui dénote une forme d’égoïsme regrettable. Tout comme le secret entourant les contrats entre le Confédération et les entreprises productrices», juge Bertrand Kiefer. L’acheminement des vaccins basés sur l’ARNm, qui demandent une conservation à -70°, sera aussi un facteur de difficultés pour de nombreux pays ou régions excentrées, relève Bernard Borel.

Pour le pédiatre, une réflexion de fond doit être menée sur les raisons de l’émergence de la pandémie. «On se rend compte que ce virus est lié à notre monde globalisé, à sa consommation effrénée et aux échanges entre pays riches pour favoriser le commerce. Il s’agit de changer de paradigme si l’on ne veut pas être confronté à de nouvelles pandémies à l’avenir. Il faut aussi que l’industrie pharmaceutique s’occupe à nouveau de recherches en maladies infectieuses ou de traitements antibiotiques qu’elle a délaissés au profit de traitements anti-cancéreux plus rentables».