«Des transports collectifs pour l’avenir de l’humanité»

Neuchâtel • Les autorités du canton ont choisi la période des vacances de cet été, entre deux confinements, pour annoncer l’arrêt définitif du transport ferroviaire entre Le Locle et Les Brenets et son remplacement par un autobus. (Par Jean-Claude Cochard, cheminot retraité, membre du syndicat SEV )

OLYMPUS DIGITAL CAMERA La station du chemin de fer aux Brenets. (Own work)

Cette façon de communiquer est coutumière des promoteurs immobiliers ou des opérateurs télécoms (implantation d’antennes 5G) pour contourner la vigilance du public, lorsque la classe laborieuse se repose au bord des plages ensoleillées. Ainsi, ce funeste projet pourrait aboutir si la mobilisation politique est insuffisante pour empêcher la disparition de ce chemin de fer, qui existe depuis cent trente ans. En s’appuyant sur une argumentation fantaisiste, cet exemple pourrait justifier la fermeture d’autres lignes.

La Suisse romande défavorisée

Selon l’opérateur du régional des Brenets, l’Office fédéral des transports (OFT) fixe à 30% le taux de couverture des coûts d’exploitation, pour une participation financière de la Confédération. Au dire du journal local, le taux de couverture de cette petite ligne est de 27%. Le scandale de CarPostal et celui du BLS (1) ont démontré que l’on fait dire ce que l’on veut aux chiffres. D’ailleurs, cela avait déjà été évoqué lorsque l’initiative populaire «Pro services publics» avait été sou- mise au peuple en 2016.

Avec la crise économique qui s’installe, parallèlement à la pandémie que nous vivons et si l’on s’en tient à ce taux fatidique de 30%, le service ferroviaire pourrait aussi être suspendu entre La Chaux-de- Fonds-Les Ponts-de-Martel, Le Pont-Brassus, Aigle-Les Diablerets, Bulle-Monbovon, Sembrancher- Orsières et dans bien d’autres cantons encore.

Et pourtant, en Suisse allemande, la Confédération ferme les yeux sur le coût astronomique de la maintenance du trafic régional sur les lignes sommitales du Lötschberg et du Gothard, après la mise en service des tunnels de base des NLFA (Nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes). Cela démontre, une nouvelle fois, l’inégalité de traitement avec la Suisse occidentale, en termes de financement du rail.

Bus et camions contre train, voie sans issue

Cet état de fait est imputable, le plus souvent, à la qualité du personnel politique des conseils d’administration des entreprises concessionnaires (ETC). Dans le cas présent, TransN.

Le coût de la mise à niveau de cette voie ferrée de quatre kilomètres, est évalué à 35 millions de francs (2). Si l’on considère que l’infrastructure actuelle et le matériel roulant, qui datent de l’électrification de 1950, sont amortis, le prix de la modernisation de ce chemin de fer est dérisoire, pour une nouvelle période, probablement aussi longue que la précédente.

Pour rendre leur projet acceptable aux yeux de l’opinion publique, ses auteurs annoncent que l’autobus qui remplacerait le train serait équipé d’un moteur électrique alimenté par batteries. Pour éviter l’engorgement routier au Col-des-Roches, une partie de la plateforme ferroviaire serait aménagée en site propre, pour l’usage exclusif des nouveaux bus.

Et c’est là que l’idée même de ce projet est absurde. Aujourd’hui et malgré l’âge avancé des automotrices, le trajet entre les deux localités s’effectue en huit minutes et désormais en sept minutes avec le prochain changement d’horaire. Jamais un bus, même équipé de la technologie la plus avancée du moment, ne roulerait aussi vite que le train, qu’ils s’apprêtent à vouloir supprimer.

Le pire dans cette histoire, c’est que pour la première fois en Suisse, on voudrait financer le démantèlement d’une ligne de chemin de fer, en puisant dans le fonds d’investissement pour les infrastructures ferroviaires!

Après la disparition quasi totale du trafic marchandise de proximité, par wagons isolés, au profit des camionneurs, sur tout le territoire de la Confédération, l’OFT, qui avait aussi accordé des concessions d’exploitation pour les bus à longue distance, expérimente cette fois une nouvelle opportunité pour intégrer notre pays au marché européen de l’électromobilité.

Face cachée de l’électrification

Dans son plan de relance économique, l’UE fait la part belle aux constructeurs routiers de véhicules électriques, pour sauver les emplois de cette branche industrielle. Mais les milieux qui leur sont favorables passent sous silence la face cachée de cette électrification. En premier lieu, l’augmentation de l’activité minière pour l’extraction des terres rares, afin d’alimenter en composants spéciaux, les chaînes de production géantes, qui vont inonder le marché de la batterie électrique, pour la propulsion des véhicules routiers.

Et on ne parle pas de la grande difficulté du recyclage de ces nouveaux objets de grande consommation, résultant de la reconversion «verte» de notre mobilité individuelle. Après le scandale planétaire de l’amiante et celui de la pollution des océans par les déchets en plastique, nous voilà encore une fois devant une nouvelle catastrophe environnementale. Qu’on le veuille ou non, le recours accru aux transports collectifs est incontournable pour l’avenir de l’humanité. Les petites lignes de chemins de fer qui desservent encore des collectivités publiques devraient être défendues avec détermination comme alternative à la politique du tout à la route, dans les régions les plus défavorisées de notre pays, comme ailleurs dans le monde!

1. Pour CarPostal, l’OFT a découvert des transferts illégaux de coûts et de produits du transport régional indemnisé vers d’autres secteurs. CarPostal a remboursé environ 205 millions de subventions indues à la Confédération, aux cantons et communes. BLS est une entreprise ferroviaire ayant indûment touché «quelques millions» d’indemnités versées par la Confédération et les cantons selon un au- dit du Contrôle fédéral des finances, ndlr.

2. Pour un coût de 45 millions de francs, le régional des Brenets pourrait être mis à l’écartement des rails CFF. Ainsi, la rupture de charge, pour ses usagers, serait supprimée en gare du Locle. Au lieu d’envisager une ligne de bus transfrontalière, un Parc+Rail, pour les pendulaires, pourrait voir le jour dans le périmètre de la gare des Brenets. Ce qui permettrait de réduire l’envergure du projet de la nouvelle brettelle autoroutière, pour le contournement de la ville du Locle. C’est de cette manière que l’on peut véritablement parler de mobilité durable!