La misogynie contre les femmes de pouvoir

La chronique féministe • A l’issue des élections municipales de 2014, Anne Hidalgo devient la première femme maire de Paris. Elle est réélue aux élections municipales de 2020.

Dimanche 3 janvier au matin, sur France Inter, j’ai entendu l’interview d’Anne Hidalgo par Léa Salamé. J’apprécie Léa Salamé, sa voix, sa rapidité d’esprit, sa finesse, les questions qu’elle pose, sa façon de les mettre en perspective. Lors d’une émission, je crois que c’était dans «C à vous» sur F5, elle a raconté que lorsqu’on lui a proposé de faire le 7/9 de France Inter en duo avec Nicolas Demorand, elle a d’abord répondu non, sous prétexte que le matin, on a envie d’entendre une voix d’homme. Elle en rit aujourd’hui, mais cela démontre que le monde est tellement machiste que même les femmes les plus douées ont intégré qu’à un certain niveau, ce monde n’est pas pour elles.

Née en Espagne, Anne Hidalgo vient d’un milieu modeste. Son père est ouvrier électricien syndicaliste, sa mère est couturière. Ils émigrent en France au printemps 1962 avec leurs deux filles, Ana, 2 ans, et Marie, 4 ans. La famille est naturalisée française en 1973. Anne obtient une maîtrise de sciences sociales du travail et un DEA de droit social et syndical. En 1982, elle fait partie des rares femmes reçues au concours national de l’inspection du travail. En 1984, elle est nommée inspectrice du travail à Chevilly-Larue.

En 1991, directrice de l’Institut national du travail puis, de 1995 à 1996, est chargée d’une mission au Bureau international du travail à Genève. Entre 1997 et 2002, Anne Hidalgo travaille dans 3 cabinets ministériels au sein du gouvernement Jospin. Elle participe à l’élaboration des lois sur la parité et l’égalité professionnelle entre femmes et hommes.

En 2001, le nouveau maire de Paris, Bertrand Delanoë, souhaitant appliquer la parité au sein de son administration, la nomme première adjointe chargée de l’égalité femme/homme. A l’issue des élections municipales de 2014, elle devient la première femme maire de Paris. Elle est réélue aux élections municipales de 2020.

Dès qu’elle accède à la mairie, les politiques et les médias se déchaînent. Elle était l’adjointe de Delanoë, certes, mais on ne la croit pas capable d’assumer le rôle de maire de Paris. Elle met en pratique un programme écologique courageux, qui avait été élaboré pendant plusieurs années de concertation. Elle interdit les berges de la Seine à la circulation, majore les tarifs de stationnement, interdit les véhicules de plus de 14 ans, restreint la circulation le premier dimanche du mois, renforce les lignes de bus, favorise le vélo, introduit le Vélib, crée 1400 km de pistes cyclables, dans le but de faire passer de 5% à 15% les déplacements domicile-travail à bicyclette. Elle crée un budget participatif consacré à l’investissement dans des projets qui sont directement conçus, décidés et votés par les Parisiens. Elle aménage 100 hectares de toitures végétalisées, dont 30 consacrés à l’agriculture urbaine, garantie sans pesticides. Ce retour de la nature en ville crée des emplois, génère du lien social, lutte contre les îlots de chaleur et la pollution atmosphérique. Parallèlement, elle ne cesse de défendre la cause des femmes et des LGBT.

En décembre 2015, elle reçoit mille maires du monde afin que les villes pèsent sur les négociations de la COP21. L’accord de Paris est signé le 12.12.2015. Le 8 août 2016, elle devient la première femme à présider le C40 Cities Climate Leadership Group. En 2017, elle signe, avec 11 maires de grandes villes, dont Los Angeles, Mexico, Londres, une déclaration s’engageant à acheter des bus propres et tendre vers «zéro émission» d’ici 2030, pour lutter contre le changement climatique. Le JLL City Research Center, agence mondiale de conseil en immobilier d’entreprise, estime en 2017 que Paris est la troisième métropole la mieux gérée au monde.

Naturellement, les automobilistes sont furieux des restrictions imposées, mais les piétons respirent mieux. L’opposition s’engouffre dans les critiques. En fait, Anne Hidalgo est attaquée surtout parce qu’elle est une femme. Selon la revue Marie-Claire, qui l’a interviewée en juin 2018, les insultes, les injures, les menaces, les appels à la jeter à la Seine, au meurtre, sont totalement disproportionnés et révèlent autre chose qu’un désaccord de principe ou d’idées. Le fait qu’elle se soit attaquée, dans la lutte contre la pollution, aux voitures, symbole phallique et narcissique masculin, en a rendu fous certains.

Le vocabulaire qui commente l’action politique des femmes est d’ailleurs saisissant de mépris et de condescendance: «aboyeuses», «poissonnières», «manipulatrice», «potiche», etc.

Dès qu’une femme accède au pouvoir, on la traite d’autoritaire. Anne Hidalgo confirme: «Avant d’être élue maire, j’étais la numéro 2 loyale et fidèle, la pâle figure sans charisme de Bertrand Delanoë, que jamais je n’arriverais à égaler. Et puis je suis élue, je fais mon job et je deviens autoritariste et dure. Quand vous gérez une ville de 2,3 millions d’habitants et de 8 milliards de budget, bien sûr qu’il faut savoir où l’on va, je suis une patronne, il faut manager les équipes, dire non. Il faut écouter – on n’a jamais travaillé aussi collégialement –, mais malgré ça, ce mot sort. Cela signifie toujours, selon moi, l’illégitimité des femmes à exercer l’autorité. Dans la représentation, perpétuée, les femmes sont du côté de la maternité, de la douceur, de l’effacement. “Ne te mets pas en avant”, apprend- on à beaucoup de petites filles.

Chez les hommes, l’autorité est intrinsèque. “Aura-t-il l’autorité?” Vous n’entendrez jamais cette question au sujet d’un homme. Moi, je l’ai entendue pendant toute ma campagne. Une femme est obligée d’avoir une stratégie consistant à expliquer et faire adhérer à ce qu’elle souhaite obtenir. Les hommes posent le flingue sur la table puis lancent: “Maintenant on discute.”»

Anne Hidalgo savait ce qui l’attendait. La politique est violente et dure pour tout le monde, hommes et femmes. L’intérêt public la porte, ce qui lui permet de supporter les attaques. D’autre part, elle s’entoure de proches et de personnes qui travaillent sur l’accompagnement des femmes en politique, comme Natalie Rastoin. Son mari et ses enfants la soutiennent sans faille.Elle sera peut-être candidate à l’élection présidentielle. La France est-elle prête à élire une femme?

Même si quelques hommes sont ouverts à l’égalité, la société, machiste depuis des millénaires puisque les hommes détenaient tous les pouvoirs, a beaucoup de peine à considérer que les femmes peuvent diriger aussi bien que les hommes.