Ultimes trumperies?

Suite à l’attaque du Capitole à Washington par des hordes incontrôlées , les réseaux sociaux ont décidé de lâcher le président étasunien en tant que fauteur de troubles

Comme beaucoup, j’ai été éberluée devant les images du Capitole occupé par une bande d’extrémistes américains, dans la nuit de mercredi 6 à jeudi 7 janvier. Les marches envahies, des fenêtres brisées, un policier, seul, qui recule devant la horde en train de gravir l’escalier, les braillements « le Capitole, c’est aussi notre maison », le type à la toque de fourrure et aux cornes de bison, arborant fièrement son torse aux tatouages suprémacistes (Jake Angeli, l’un des leaders mouvement complotiste QAnon, ndr), l’irruption dans la salle où les représentants des deux chambres législatives sont en train de valider les votes, État par État, la mise à l’abri dans les sous-sols des élu.e.s, les bureaux saccagés. Un fait frappant: il y avait essentiellement des hommes.

Le premier choc passé, on se demande comment une ville si sécurisée a pu laisser entrer des manifestants dans le Capitole, le saint des saints de la démocratie américaine. Nous reviennent les images de policiers en plusieurs rangs serrés, lors de la manifestation «Black Lives Matter» contre les violences policières, à la suite de la mort de George Floyd. Une souris n’aurait pas passé. Où étaient les 2000 policiers attachés au Capitole? Ceux qui dépendent de la mairie de Washington? La garde républicaine a été finalement appelée par le vice-président Mike Pence, et les représentant-e-s des 52 États ont pu reprendre le décompte des voix des grands électeurs et déclarer Joe Biden 46e président. Une formalité dans l’élection présidentielle, qui s’est déroulée dans le calme pendant 200 ans. Mais cette fois-ci, il fallait compter avec Donald Trump, non seulement le pire président des États-Unis, mais un malade incapable de reconnaître le moindre échec.

25’000 mensonges

Donald Trump, répétant en boucle qu’on lui a volé la victoire, incitant ses partisans à monter sur le Capitole, porte la lourde responsabilité de ces débordements, qui ont provoqué 5 morts et choqué jusque chez certains républicains. Mais cela fait 4 ans que Trump inonde les réseaux sociaux de ses tweets simplistes et mensongers, attaquant sans relâche ses opposants, les traités nationaux et internationaux, la démocratie et la presse traditionnelle. Le New York Times a comptabilisé les mensonges trumpiens: 25’000 fin 2020. Rien, jamais, ne le fait reculer ni reconnaître quoi que ce soit. Il a toujours raison, les autres ont forcément tort. Ses fake news ont fini par pervertir le cerveau de millions de gens.

Selon le professeur Jacques Savoy de l’Université de Neuchâtel, l’usage participatif d’Internet a été surpassé par l’usage complotiste. Cela s’explique notamment par la globalisation, qui a accentué les inégalités entre les classes sociales, si bien qu’aujourd’hui, il existe 50% d’analphabètes fonctionnels, c’est-à-dire de gens qui, quand on leur fait lire un petit texte, n’arrivent pas à en tirer des conclusions claires. Pour les atteindre, il faut utiliser un langage très simple, comme Trump, qui fait des phrases de 15 à 16 mots, alors que ses rivaux en sont en moyenne à 23 mots. Il est bien plus efficace de dire «Les crimes, ce sont les immigrés. Je construirai un mur», plutôt que «C’est vrai qu’il y a des problèmes liés à l’immigration, mais ces gens sont surtout précieux pour le pays parce qu’ils…». Les messages simples, qui jouent sur l’émotion, répétés en boucle, gagnent irrésistiblement en crédibilité. En campagne, Trump tweetait 43 fois par jour, Biden 14.

Dès la campagne électorale de 2016, Trump le milliardaire a compris qu’il devait s’adresser aux laissés-pour-compte de la mondialisation. En majorité des mâles blancs, peu instruits, non urbains, racistes, terrorisés à l’idée qu’un jour, en Amérique, les blancs seront minoritaires, vouant une haine viscérale aux Noirs et aux Latinos, comme les membres du Ku Klux Klan de sinistre mémoire. Ils font partie des 40% de créationnistes des USA (8% en France), prenant la Genèse à la lettre: le monde a été créé en 7 jours il y a 6000 ans, faisant fi de la science.

Parmi les fanatiques du 6 janvier figurent des suprémacistes, des négationnistes, des complotistes, des néonazis, des ex du KKK, des skinheads, des militants pro-armes. Voilà de quoi est faite la base des 74 millions de citoyens qui ont voté Trump. Après leur avoir demandé de rentré chez eux, Trump a conclu: «Je vous aime». Jamais il n’a condamné les excès des suprémacistes et de leurs milices armées, ni à Charlottesville en 2017 (1 mort, des dizaines de blessés), ni lors de la contre-manif à celle organisée en hommage à George Floyd, en juin 2020, ni le 6 janvier. Au contraire, il les a légitimés.

Couardise chez les Républicains

Pendant 4 ans, Trump a soutenu tout ce qui pouvait asseoir son pouvoir et flatter son incommensurable ego, quitte à provoquer une guerre civile, avec l’aval du parti républicain dans sa large majorité, censé être un des deux piliers de la démocratie américaine. Les pires abus de Trump ont été soutenus par les Républicains qui voulaient sauver leur siège. Ils ont montré autant de couardise que la grande bourgeoisie, notamment financière, les gros industriels, des politiciens de la droite traditionnelle en 1932 en soutenant Hitler. 147 élus républicains (dont 8 sénateurs) sont toujours persuadés qu’on leur a volé l’élection. Et 45% des électeurs républicains interrogés approuvent l’assaut… Le 6 janvier a montré au monde entier combien la démocratie est fragile.

Trump méprise les femmes. Sur une vidéo, il se vantait de facilement «les attraper par la chatte», il a tenu des propos rabaissants contre Hillary Clinton, traite son épouse comme un simple faire-valoir, il ne supporte pas Angela Merkel, qui est puissante, il va être poursuivi pour plusieurs plaintes de harcèlement sexuel quand il ne sera plus défendu par l’immunité présidentielle.

Joe Biden est son contraire: son épouse Jill est Dr. en sciences de l’éducation, s’occupe d’élèves souffrant de troubles émotionnels, participe en 2017 à la création de la fondation Biden, destinée à lutter contre les violences faites aux femmes. Elle va continuer d’enseigner, ce qui en fera la première dame qui travaille. Biden a non seulement choisi une femme comme vice-présidente, Kamala Harris, mais il en a nommé plusieurs à des postes clés, ainsi que des personnes de couleur. La présidence va changer de visage.

On devrait toujours se méfier des hommes qui méprisent les femmes, et mettent de côté, dans leur système de pensée, la moitié de l’humanité. On voit ce que ça peut donner…