Parlons sexe

La chronique féministe • Personnellement, je n’avais jamais entendu parler de la «thorarche», «thorarque» ou «séménarche»: première éjaculation du garçon, par masturbation ou pollution nocturne. «La ménarque», c’est le terme qui désigne les premières règles.

Nathalie Giraud Desforges est sexothérapeute, thérapeute de couple, fondatrice de «Piment rose», et anime des ateliers sur le plaisir prostatique. (DR)

Ça alors! En lisant l’article «Le sexe, comment ça se cause» (TdG, 13-14.2.21), dans le contexte de la Saint-Valentin, je me suis rendu compte qu’à mon âge et me considérant comme une femme libérée, il y avait encore des choses et des mots que j’ignorais sur le sujet.

On y mentionne le livre La vulve, la verge et le vibro de Maïa Mazaurette (Ed. de la Martinière). Jusque-là, ça va! Avec son nouvel ouvrage, l’auteure propose un dictionnaire curieux et amusé regroupant des termes a priori bien connus… et d’autres beaucoup plus mystérieux.

Personnellement, je n’avais jamais entendu parler de la «thorarche», «thorarque» ou «séménarche»: première éjaculation du garçon, par masturbation ou pollution nocturne. «La ménarque», c’est le terme qui désigne les premières règles. Selon une étude de 2018, 92% des filles connaissent ce mot (je l’ignorais), mais 28% seulement des garçons ont entendu parler de thorarque, un terme que la plupart ne mémoriseront pas. C’est regrettable, parce que connaître ce qui est relatif à un rite de passage pourrait éviter au garçon d’aller se prouver plus tard qu’il est un homme en buvant de l’alcool ou en roulant trop vite.
Et savez-vous ce qu’est le «hibue»? Sur les plateaux des séries HBO et Netflix, il est désormais fréquent de croiser une «coordinatrice d’intimité», dont le job consiste à s’assurer que le tournage des scènes de sexe se passe de façon aussi confortable que possible pour leurs interprètes, mentalement et physiquement. Cette pratique nécessite parfois d’avoir recours à quelques accessoires, comme le hibue, un slip très près du corps, qui finit par devenir quasiment invisible à l’écran s’il est choisi dans la bonne carnation. Il est loin le temps où Jean Rochefort se scotchait le pénis contre la cuisse pour être certain de ne pas avoir de problèmes lors du tournage de certaines scènes intimes!

«Le frot» signifie le choc des pénis, cette pratique au gré de laquelle deux partenaires frottent leurs pénis respectifs l’un contre l’autre. Un terme à distinguer du mot frottage, dont Maïa Mazaurette rappelle qu’il désigne «n’importe quel frottement sensuel». L’autrice précise que cette pratique n’est pas réservée aux êtres humains: les bonobos, les baleines ou certains vers hermaphrodites pratiquent ce mode d’interaction pénien. Chez ces derniers, le rituel est étonnant: «chacun des deux partenaires essaye de percer la peau de l’autre avec son pénis», écrit Maïa Mazaurette en citant Wikipédia.

La circlusion, un changement de paradigme

L’idée est que pour revenir à des rapports sexuels plus sains, moins basés sur des rapports de domination, il faut cesser de considérer que la personne qui pénètre (par exemple avec son pénis) est active, tandis que celle qui est pénétrée est passive. C’est une artiste allemande, Bini Adamczak, qui a eu l’idée d’un nouveau mot: la circlusion. Ce terme et le verbe circlure sont conçus en miroir de la pénétration: ainsi, on peut par exemple affirmer qu’un vagin circlut un sextoy ou des doigts. Cela met notamment en avant le fait que, comme l’explique longuement Maïa Mazaurette dans son ouvrage Sortir du trou, il convient de cesser de considérer le vagin, la bouche, l’anus, comme des orifices simplement destinés à être remplis.

Le plaisir prostatique

J’ai toujours pensé que les femmes disposaient d’une gamme de plaisirs beaucoup plus riche que les hommes, restreints à leur seul pénis. Voilà qu’ils peuvent connaître «le plaisir prostatique». Je n’en avais jamais entendu parler et, à ma décharge, aucun homme ne me l’a demandé. Probablement qu’ils ignoraient eux-mêmes les possibilités de leur prostate. Je savais que c’est une glande qui sécrète et stocke une partie du liquide séminal, un des constituants du sperme. Je savais aussi que c’est le cancer le plus fréquent chez l’homme, 30% des diagnostics chez les patients de 50 ans et plus, la moitié a 70 ans et plus (1,6 million de cas en 2015 au niveau mondial). Le volet masculin du cancer du sein, le plus répandu chez les femmes (2,4 millions de cas). La plupart des hommes qui se font opérer semblent en avoir honte, d’autant plus que, même guéris, ils peuvent avoir des problèmes d’érection, LE sujet tabou. Si j’avais su qu’on pouvait la masser et procurer du plaisir au partenaire, je l’aurais considérée avec plus de tendresse et de curiosité.

Nathalie Giraud Desforges est sexothérapeute, thérapeute de couple, fondatrice de «Piment rose», et anime des ateliers sur le plaisir prostatique. «Le massage prostatique est utilisé depuis des millénaires pour ses vertus thérapeutiques. Lorsqu’on découvre cette zone érogène, on s’ouvre à des sensations inconnues. Il s’agit d’un orgasme puissant, qui transporte le corps entier, mais sans érection et sans éjaculation. Au lieu de concerner l’extérieur, il prend de l’intérieur. Cette différence ressemble à celle décrite par les femmes lorsqu’elles parlent d’orgasme clitoridien, plus “électrique”, ou d’orgasme profond».

À propos de clitoris, il a fallu attendre encore plus longtemps que le droit de vote féminin en Suisse pour que les femmes sachent enfin à quoi ressemble ce merveilleux organe dont la nature les a gratifiées. Nous avons appris que la partie visible du clitoris mesure entre 0,5 et 1 cm, tandis que la tige, invisible et localisée à la suite du gland, peut faire 10 cm. Comme le pénis masculin, le clitoris entre en érection lorsqu’il est stimulé et excité. Il comprend entre 8000 et 10’000 capteurs sensoriels, alors que le gland de l’homme en comprend 3000 à 4000 en moyenne. La base du clitoris correspond au point G. Parallèlement à ces informations, nous avons vu apparaître un peu partout des schémas, généralement de couleur rose, on en dessinait sur les trottoirs, on installait des clitoris géants lors de manifestations. Nous étions émerveillées.

Mais dans la même page de la TdG, j’apprends que 44% des femmes ne prennent jamais l’initiative. Nouvel étonnement. J’aurais pensé qu’au 21e siècle, les femmes étaient plus libérées. 50 ans après Mai 68 et la libération sexuelle, près de la moitié des femmes n’osent toujours pas exprimer leur désir, ou indiquer ce qui leur fait plaisir. Et il existe des hommes pour dire que ce n’est pas beau, une femme qui parle de sexe!
Bon, malgré les nouveaux mots et l’éventail des possibilités de se donner du plaisir, nous ne sommes toujours pas sorti.e.s de l’auberge!