Sans-papiers: carte citoyenne en vue

Droits humains • Au Conseil général de La Chaux-de-Fonds du 18 février, la motion du POP «Pour le développement d’un outil d’intégration par le biais d’une carte citoyenne» a été adoptée. (Par Nicanor Haon)

Le Conseil communal (exécutif) devra donc étudier la possibilité d’une carte d’identité communale accessible à l’ensemble de la population chauxoise, y compris les sans-papiers. Plutôt que de se dire une carte d’«identité», un concept cher à la droite dure, une carte «citoyenne» serait davantage centrée sur la participation de chacun.e à la vie de la cité.

Précédent zurichois

La motion popiste, déposée fin 2020, fait écho à une motion similaire votée à Zurich en 2018, consécutivement à une pétition qui avait reçu 8400 signatures. Après deux ans d’étude, l’exécutif de la plus grande ville de Suisse a rendu un rapport positif en novembre dernier concernant la mise en place d’une Züri City Card. Appuyé par deux avis très détaillés de l’Université de Zurich, le rapport conclut à la mise en place d’une carte citoyenne urbaine accessible aux sans-papiers d’ici 2024. Celle-ci s’appuiera notamment en matière de santé sur deux hôpitaux référents pour la prise en charge des soins et l’accompagnement à l’inscription aux assurances maladies. Pour être réalisé, le projet devra également faire l’objet d’un vote sur son budget au printemps 2021.

Inspirée de la Züri City Card approuvée par l’exécutif de Zürich, et de la carte d’identité universelle mise en place à New-York, la carte citoyenne chauxoise proposée par le POP se veut être un outil d’intégration et de renforcement du sentiment d’appartenance à la Collectivité. Ainsi, elle pourrait se combiner avec d’autres cartes telles que la carte de bibliothèque, celles permettant d’accéder aux installations sportives ou la monnaie locale.

Etudes de terrain

Aux Etats-Unis, de nombreuses villes ont déjà franchi le pas de se considérer comme des refuges pour les exilé.e.s. Des études comparatives ont pu être faites entre cités refuges et villes n’implémentant pas de politique d’intégration spécifique vis-à-vis des sans-papiers. Les conclusions sont édifiantes. Dans les agglomérations refuges, la population sans-papiers a un meilleur accès à la santé, est moins victime de travail au noir, appelle plus facilement la police, ce qui fait baisser la criminalité. En somme, l’économie est plus saine et la population en général jouit d’une meilleure santé et d’un meilleur accès aux services publics du fait que l’espace urbain est moins ségrégué. Le tout se répercute positivement sur les recettes fiscales puisque la population travaille mieux et consomme davantage. L’intérêt d’une carte citoyenne dépasse donc la simple défense des droits fondamentaux des sans-papiers, mais concerne bien la population en général.

Pour la situation chauxoise, le POP a mené une enquête auprès de plusieurs organisations au contact de la population sans-papiers, que cela soit dans le domaine sanitaire, social ou juridique. De cette enquête, un besoin net est ressorti au niveau de l’accès de cette population aux besoins basiques. Par ailleurs, une grande majorité de personnes rencontrées a donné un avis intéressé et même favorable à la création d’une carte citoyenne sur les modèles des projets new-yorkais ou zurichois.

Outil d’intégration universel

La motion popiste vise à établir une carte qui accompagne l’ensemble de la population chauxoise dans ses démarches au quotidien. La carte communale pourrait justifier de son nom et de sa résidence à La Chaux-de-Fonds lors d’une inscription aux assurances et bibliothèques, pour les titres de transport, ou encore les démarches ayant trait au logement. Dans un communiqué consécutif au vote, le POP en appelle aux organismes privés pour qu’ils reconnaissent, le plus largement possible, le futur document. On peut penser par exemple aux gérances, assurances et banques, qui jouent un rôle majeur dans l’intégration et la vie de la population.

Lieux culturels et de socialisation

A Zurich, pandémie oblige, le soutien à la City Card que souhaitent donner les restaurants, les cafés ou théâtres n’est pas aussi fort qu’il aurait pu l’être. Néanmoins, nombre d’établissements soutiennent la création de la Züri City Card en proposant des réductions et d’autres bénéfices aux personnes qui la présentent.

De tels soutiens pourraient être mis en place à La Chaux-de-Fonds, d’autant plus que des institutions culturelles de la ville auraient également la possibilité participer à l’initiative pour valoriser le patrimoine chauxois. Au-delà de la dimension purement culturelle, ce soutien de la part du monde de la restauration et de la culture est aussi un moyen de rendre la carte attrayante et valorisante pour l’ensemble de la population, et que son usage ne se cantonne pas à la population sans-papiers. En effet, une telle chose aurait pour conséquence de transformer la carte en stigmate, ce qui n’est pas souhaitable.

La future carte citoyenne, si elle veut remplir ses objectifs, doit répondre à certains impératifs. En effet, la loi fédérale sur les documents d’identité interdirait aux communes d’émettre des documents justifiant de la nationalité suisse ou du droit au séjour. Une carte citoyenne n’aurait pas cette prétention. Mais elle voudrait simplement dire, à la manière d’une carte étudiante, d’un permis de chasse ou d’une licence de restauration, qu’une personne a tel nom et qu’elle habite à La Chaux-de-Fonds. La protection des données est également fondamentale, et l’enregistrement des données des porteur.euse.s devra se faire dans un fichier crypté par un personnel tenu au secret professionnel. Cela afin que la carte citoyenne ne devienne pas un outil pour traquer les exilé.e.s.

Défendue par Julien Gressot au Conseil Général, la motion concernant la carte citoyenne a reçu des votes favorables du PS, des Verts ainsi que des Verts Libéraux. Le résultat de 25 oui, 11 non et 4 abstentions ainsi que le soutien du Conseil Communal montrent un enthousiasme fort autour du projet. Au contraire du mythe de l’«appel d’air» évoqué par la droite, La Chaux-de-Fonds pourrait, en devenant la première ville romande à lancer un tel dispositif, attirer une population qui préfère précisément le vivre-ensemble au rejet de l’autre.