Mythes de la deuxième Guerre mondiale

Livres • Deux ouvrages, l’un collectif, «Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale», l’autre individuel, «Français, on ne vous a rien caché», s’efforcent de dissiper des fake news avant la lettre. Sur des événements et périodes dramatiques, controversées.

Panorama de la bataille de Stalingrad en 1942. (RIA Novosti archive)

Les contributeurs du premier titre, coordonné par Jean Lopez et Olivier Wierviorka, reviennent sur ce qu’ils appellent des «idées reçues» concernant des événements: «La défaite (française) de 1940 était inéluctable», «Les Allemands n’ont pas pris Moscou à cause de l’hiver», «Le Japon a capitulé à cause d’Hiroshima». Ou des jugements d’ensemble – «La Suisse, un pays neutre», «Le monde arabe a souhaité la victoire du Reich», «L’armée italienne était mauvaise».

Nouvelles perspectives

Un certain nombre de ces réexamens est utile. On apprend ainsi que la déclaration de guerre de l’URSS au Japon le 9 août 1945 était instamment réclamée par Roosevelt puis Truman et que la concentration de troupes de l’Armée rouge à la frontière du Mandchoukouo, cet Etat fantoche créé sur le territoire chinois par les Japonais en 1932, a été la plus formidable concentration militaire réunie durant tout le conflit (1,5 million de soldats, 5500 blindés, 3800 avions, etc.). A Okinawa, au même moment, les Américains mobilisaient une armada plus imposante que celle du débarquement de Normandie et connaissaient de lourdes pertes – qui les convaincront de recourir à la bombe atomique.

Nullement certains cependant que cette arme leur épargnera de mettre des troupes au sol dans une campagne sanglante en vies américaines, les dirigeants tiennent à l’intervention soviétique en Mandchourie, région inaccessible aux bombardiers car trop éloignées de leurs bases et où le Japon a regroupé ses industries de guerre et ses forces les plus puissantes. Celle-ci sera la «guerre éclair» (Blitzkrieg) la plus spectaculaire du conflit. Mais aussitôt après la capitulation, les Japonais comme les Américains vont s’efforcer d’évincer les Soviétiques, mini- miser leur rôle et construire le mythe d’un empereur soucieux de «sauver la civilisation d’une totale extinction» que porterait la bombe atomique et de l’importance décisive d’Hiroshima et Nagasaki dans la fin de la guerre.

Contre les idées reçues

Dès septembre 1945 la guerre «froide» commence en Asie, où la Chine est en guerre civile et verra la victoire de Mao Tsé-toung (1949) et la libération de la Corée puis sa partition et la guerre qui s’ensuivit (1950-1). Il est d’autres «idées reçues» ou «légendes», qui sont ainsi mises à mal par les historiens mobilisés dans cet ouvrage. Pour en rester à l’URSS (certainement la grande «perdante» dont on minimise le rôle et ses 30 millions de morts pour des motifs politiques – ainsi en 2019 lors des cérémonies du Débarquement), on suggère souvent que l’industrie soviétique n’était pas de taille à rivaliser avec l’allemande et que sans l’aide matérielle américaine, l’Armée rouge n’aurait pas pu tenir tête puis vaincre la Wehrmacht. Or non seulement la contribution anglo-américaine à l’URSS n’a pas été considérable, mais elle fut tardive (essentiellement entre juillet 1943 et décembre 1944), concerna majoritairement une aide destinée aux civils et s’arrêta net à la capitulation allemande alors que la reconstruction du pays en partie dévasté allait devoir débuter.

Pas d’entente le PCF et de Gaulle

L’autre ouvrage, dû à François Azouvi, entend dissiper le mythe selon lequel le parti communiste et de Gaulle se seraient entendus, dès la Libération de la France, pour imposer une image de la résistance unanime, minimiser l’importance de la collaboration et passer sous silence le génocide des Juifs. L’auteur avait déjà consacré un ouvrage démystificateur à ce dernier point, Le Mythe du grand silence: Auschwitz, les Français, la mémoire (2012) établissant qu’on n’avait pas attendu le procès Eichmann en 1961 et le film Shoah (1985) de Lanzmann pour évoquer la persécution et l’extermination des Juifs en France comme en Europe.

Il se demandait plutôt «pourquoi avons- nous oublié qu’on n’avait pas oublié»? La critique de ce qu’un historien a appelé le «résistancialisme» – cette mythification de la résistance – a, de fait, commencé très tôt dans les milieux intellectuels fascisants de l’après- guerre, notamment autour de Maurice Bardèche et sa Défense de l’Occident (1). Et ce n’est pas le moindre paradoxe de constater que, grâce au contexte de «guerre froide», c’est pour partie leur argumentaire qui l’a emporté dans les médias voire chez certains historiens.

Sources limitées

Les limites de ces deux ouvrages tiennent à leur principe de départ: démystifier. Plutôt que de proposer une investigation historique à partir de sources nouvelles, d’angles inédits. Comme peut le faire Annie Lacroix-Riz sur cette période en exploitant des archives diplomatiques, industrielles, etc. peu étudiées avant elle. Ces auteurs partent de ce qu’ils appellent des «mythes» et entendent les déconstruire. Dans le cas d’Azouvi, la faiblesse de son travail tient à sa seule préoccupation pour les articles de journaux, livres, films, pièces de théâtre. Dans le cas de celui que dirigent Lopez et Wieworka, on a surtout confronté à des historiens du militaire (le magazine Guerre et histoire) qui alignent des chiffres (nombre de tanks, avions, cuirassiers, etc.) et des analyses stratégiques.

A leurs yeux, les FTP (2) ou les cheminots comptent pour peu, ils s’en tiennent aux archives de la police de Vichy sans la confronter à d’autres sources, dont les témoignages des acteurs. Azouvi accorde, lui, une place aux résistants, mais choisit ceux qui ont une conception mystique, sacrée de leur combat car il veut y voir un positionnement moral. Or la question des mythes ou des légendes excède largement une approche positiviste de ce genre puisqu’elle engage celle de la mémoire ou des mémoires qui sont des constructions sociales et répondent à d’autres motivations que factuelles. Le caractère tranché qui gouverne les jugements et contre-jugements, la «désintox» et la traque des «fake news» conviennent mal à la recherche historique.

1 Périodique politique d’extrême droite promoteur du négationnisme et de l’antisionisme en France et créé par M. Bardèche en 1952 (ndlr),

2 Francs-tireurs et partisans, mouvement de résistance intérieure créé fin 1941 par la direction du PCF (ndlr).

J. Lopez et O. Wierviorka (dir), Les Mythes de la Seconde Guerre mondiale, Payot;

F. Azouvi, Français, on ne vous a rien caché. La Résistance, Vichy, notre mémoire, Gallimard.