Le syndicat, «l’arme fatale» des travailleurs

Etats-Unis • Danny Glover, connu comme le double de Mel Gibson dans «L’Arme fatale», a rendu visite aux travailleurs d’Amazon en Alabama en lutte pour l’affiliation à un syndicat. (Propos recueillis par Maximilian Alvarez, Paru sur The real news network)

Fils de syndicaliste, l’acteur Danny Glover est de tous les combats de résistance au capitalisme. (Brandon Laufenberg)

Aux États-Unis, se syndiquer relève du parcours du combattant. Si vous travaillez à un endroit où il n’y a pas de syndicat, il faut que 30% des salariés votent en faveur de la création ou l’affiliation à un syndicat pour qu’il soit reconnu par la direction. Les 5800 travailleurs du centre de traitement des commandes d’Amazon à Bessemer, en Alabama, votent actuellement pour décider s’ils veulent ou non se syndiquer auprès du RWDSU (Retail, Wholesale and Department Store Union). Si le vote est positif, ces travailleurs deviendront les premiers employés syndiqués d’Amazon aux États-Unis.

Les résultats seront connus après le 29 mars. Mais les travailleurs font face à un climat anti-syndical inouï: spots publicitaires diffusés sur la plateforme vidéo Twitch (propriété d’Amazon), envoi de SMS pour appeler à voter contre l’adhésion à un syndicat, messages affichés aux WC, accord avec la ville pour trafiquer les feux rouges afin que ceux-ci passent au vert quand les travailleurs quittent leur entrepôt, pour qu’ils ne puissent pas discuter avec des syndicalistes… Les moyens mis en place par la direction pour empêcher les travailleurs de se syndiquer sont importants.

La peur a-t-elle changé de camp? Les travailleurs trouvent aussi des alliés de poids. Par exemple, les joueurs de football américain professionnels. Ou une star d’Hollywood. Le 22 février 2021, Danny Glover, acteur de renommée mondiale et activiste est venu à Bessemer pour témoigner son soutien aux travailleurs d’Amazon. Maximillian Alvarez, rédacteur en chef de The real news network (TRNN) l’a rencontré. Et a donné l’autorisation à Gauchebdo et Solidaire de diffuser des extraits de cette interview.

Qu’est-ce qui vous a motivé à venir à Bessemer pour témoigner votre soutien à la lutte des travailleurs?

Danny Glover C’est un moment très important, certainement pour les travailleurs de cette entreprise qui (à l’exception de Walmart) emploie plus de personnes que n’importe quelle autre entreprise dans le pays. Surtout, ici dans le Sud, traditionnellement considéré comme une région où les syndicats n’ont guère de poids. Sans compter qu’une partie de ma propre histoire se situe dans le Sud: ma mère était du Sud, de la Géorgie rurale, et elle a réussi à s’en sortir. Elle a pu faire des études. Elle ne devait pas ramasser le coton en septembre, car ce mois-là, elle allait à l’école. Et puis, je viens d’une famille de syndicalistes, au sein du US Postal Service (l’entreprise publique de poste aux États-Unis, NdlR). Il y a donc beaucoup de raisons pour lesquelles je suis ici et, certainement, que je suis présent au service de la justice, de la justice pour les travailleurs. Cela semble être l’un des objectifs de ma vie, en dehors du travail que je fais sur scène et sur le grand écran.

En quoi cette lutte s’inscrit-elle dans le cadre plus large de la lutte pour la libération et la dignité?

Je pense qu’à l’ère de l’industrialisation – depuis la révolution industrielle (grosso modo les 200 dernières années) – les travailleurs organisés, dans notre pays et dans le monde entier, se sont battus pour les droits les plus fondamentaux, les droits humains. Cette lutte engendre une sorte de conscience de classe, soit la réalisation que le capital et ses modes d’expansion reposent sur certaines règles: comment contrôler la classe travailleuse? Comment saper les moyens d’action de la classe travailleuse? Comment la «déradicaliser»? Et lorsqu’on se bat pour joindre les deux bouts, pour payer le loyer ou mettre de la nourriture sur la table, il s’agit là de choses concrètes.

Nous parlons d’un pays où la majorité de la population vit dans des zones urbaines, souvent surpeuplées (et c’est aussi le cas dans le monde entier). Qu’il s’agisse de migrations forcées ou volontaires pour trouver du travail et tout le reste, ce processus d’industrialisation a poussé les gens vers les villes et les a conduits tout droit vers les endroits où ils devaient vendre leur travail pour survivre. Et c’est la même chose maintenant: peu importe la technologie dont nous disposons, peu importe combien nous rejetons l’idée même de syndicats, le fait est que les êtres humains vendent leur corps, se vendent pour un prix, pour pouvoir survivre. Ils ne cultivent pas leur propre nourriture, ils doivent l’acheter.

Ainsi, depuis les «barons voleurs» du XIXe siècle (capitalistes qui ont mis la main sur des secteurs pour en avoir le monopole à n’importe quel prix: corruption, violences, etc. NdlR) jusqu’à aujourd’hui, leur objectif a toujours été le même: comment contrôler la main-d’œuvre? Comment ensuite l’exploiter? Car leur objectif est l’exploitation. Comment accaparer la valeur ajoutée créée par les travailleurs tout en réduisant la part qui leur revient? Car ce sont eux – les travailleurs – qui créent la richesse. Voilà pourquoi nous sommes ici aujourd’hui, c’est aussi simple que ça. Nous avons affaire au deuxième plus grand employeur de ce pays – certainement le plus grand employeur de cette région actuellement – et, face à lui, 5800 travailleurs qui ont l’occasion d’affirmer: «Nous demandons certaines protections.

Nous voulons être en mesure de mettre en place une sorte de norme, d’autant plus importante à nos yeux qu’elle nous permettrait de négocier nos salaires, nos prestations et nos conditions de travail.» Actuellement, cette grande entreprise, Amazon, contrôle tout cela. Elle contrôle les conditions de travail des employés, les salaires qu’ils reçoivent et les prestations qu’ils peuvent obtenir sans que les travailleurs eux-mêmes aient leur mot à dire. Et le syndicat est la meilleure structure pour leur donner voix au chapitre dans des décisions qui concernent leur vie. C’était le cas il y a 200 ans, et c’est toujours le cas aujourd’hui.

Pouvez-vous nous expliquer comment ce vote syndical s’inscrit dans une tradition et une histoire plus longues de la lutte syndicale dans le Sud?

Comme je l’ai dit aux travailleurs ici: «Vous vous inscrivez dans la continuité d’un processus historique; vous faites partie d’une lutte permanente qui a commencé bien avant vous. Et cette lutte vous a conduit là où vous êtes aujourd’hui, dans vos propres efforts pour construire la solidarité et dans vos propres demandes pour construire de meilleures conditions de travail pour les travailleurs.»

Créer un syndicat a servi de plateforme pour hisser les travailleurs du bas de l’échelle des salaires à la classe moyenne. Et c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Nous connaissons la dynamique de la pauvreté en Alabama et la manière dont elle affecte les personnes les plus démunies.

Nous savons également que tous les autres types d’inégalités que nous connaissons dans notre société (en matière de soins de santé, etc.) sont également présentes dans cette région. Se syndiquer est un moyen de mobilisation, pas seulement dans le sens où elle permet de contrôler ce qui se passe sur le lieu de travail, mais c’est aussi un moyen d’organiser la communauté; elle renforce le sens de l’autonomie de la communauté dans tous les domaines. La syndicalisation crée des citoyens, le syndicat fournit aux citoyens une plateforme d’action.

Qu’ont dit les travailleurs lorsque vous leur avez parlé de ce vote syndical et de leurs conditions de travail chez Amazon?

C’est incroyable, certaines des difficultés qu’ils rencontrent, les péripéties auxquelles ils doivent se livrer pour surmonter les obstacles. La surveillance dont font l’objet les travailleurs d’Amazon est différente de tout autre système de surveillance des travailleurs. Ce sont probablement les travailleurs les plus surveillés – le moindre détail de leur travail est observé. Et, d’une certaine manière, les demandes qui leur sont imposées pour accomplir leur quota de travail sont pratiquement irréalisables. Les périodes de pause, le temps dont ils disposent pour se rendre aux toilettes, les aménagements, la disponibilité de toilettes, tous ces éléments sont source de préoccupation.

Voici un pays moderne où les travailleurs n’ont aucun contrôle ni aucun droit de regard sur ce qui se passe sur le lieu de travail, où tout est laissé à la discrétion des managers eux-mêmes. Ce système a utilisé la technologie d’une manière inédite (tant pour ce qui est de la création du modèle économique et commercial d’Amazon, que des conditions de travail qui sous-tendent ce modèle). Il y a des témoignages qui vous fendent le cœur. Quand on pense que ces gens viennent ici pour travailler. Ils postulent à des emplois pour travailler, et ils donnent ce qu’ils ont pour travailler. Mais il y a certains aspects de leurs conditions de travail, qu’il s’agisse de pauses insuffisantes, du sentiment d’être surveillé ou d’être traité de manière souvent inappropriée… Amazon contrôle tout cela. Ils contrôlent votre fiche de paie et ils contrôlent tellement de choses différentes sur lesquelles les travailleurs n’ont pas leur mot à dire.

Pourquoi est-il si important que les travailleurs aient leur mot à dire?

Amazon est une entreprise mondiale, et elle est certainement amenée à traiter avec des syndicats dans d’autres endroits. En Europe, par exemple, où ils ont une relation avec les syndicats. Ce qui nous ramène toujours à la même question: pourquoi pas ici, dans son port d’attache? Pourquoi sont-ils si résistants à l’idée d’avoir un syndicat dans le pays où Amazon a son siège? Pourquoi utilisent-ils tous les moyens à leur disposition pour décourager les travailleurs de se syndiquer ou de voter pour un syndicat? Quand vous avez des syndicats, vous donnez du pouvoir au travailleur. Et c’est la chose la plus importante.

Et quelle direction va prendre Amazon? Ils sont venus à Bessemer, un endroit où l’emploi a clairement connu un déclin. En raison de la technologie et de l’automatisation, le travail manuel est devenu inaccessible. Les emplois bien rémunérés sont devenus inaccessibles ici pour de nombreuses raisons. Une partie du travail qui était auparavant effectué ici a pu être externalisée vers un autre pays. Mais dans les pays avancés, comme en Europe, où il existe des syndicats puissants, Amazon traite avec ces syndicats. Ils se voient contraints de traiter avec ces syndicats même si ça les met mal à l’aise. Mais, en même temps, cela donne du pouvoir aux travailleurs. (…)

La syndicalisation et la lutte ici à Bessemer sont importantes car elles sont susceptibles non seulement de changer la vie de ces travailleurs ici, mais aussi d’inspirer par cette leçon de courage d’autres batailles et d’autres luttes.

Propos recueillis par Maximilian Alvarez

Article paru en anglais sur The real news network,

à retrouver sur  www.herealnews.com/hammer-and-hopedanny-glover-on-the-amazon-union-drive-in-bessemeralabama en intégralité