Les femmes dans la vie lausannoise

Livre • Un ouvrage collectif présente 100 portraits de pionnières, notamment Antoinette Quinche, une radicale, qui a ouvert le droit de vote des femmes en 1959 dans le Canton de Vaud.

Couverture du livre consacré aux militantes qui ont aussi fait Lausanne. (PJT)

Après une introduction sociohistorique montrant, jusqu’à une date récente, le peu de visibilité des femmes dans l’espace public et dans la mémoire collective, cet ouvrage est divisé en chapitres thématiques, tels que «Luttes militantes et engagement social», «Education et institutions sociales» ou encore «Peindre et sculpter le monde». On ne présentera bien sûr pas ici les cent figures féminines retenues, toutes décédées, même si chacune d’entre elles le mériterait.

Tentons plutôt de tracer quelques lignes de force. Si ces femmes, au cours de plusieurs siècles, se sont engagées dans de multiples domaines, on constate la place importante de la santé et de l’action sociale. Celles-ci correspondaient mieux aux préjugés genrés sur les activités dites «féminines». C’est par exemple le cas de Valérie de Gasparin, fondatrice de La Source, première école d’infirmières laïques. On notera aussi la forte imprégnation religieuse protestante: de nombreuses femmes appartenaient à l’Église libre et étaient filles de pasteurs. C’est mue par son intense foi chrétienne que Julie Hofmann créa Eben-Hézer, destiné à l’accueil de handicapés mentaux.

C’est d’ailleurs Alexandre Vinet, à l’origine de l’Église libre après la révolution radicale vaudoise de 1845, qui fut le fondateur de l’école portant son nom, premier gymnase ouvert aux jeunes filles. Celui-ci a formé plusieurs générations d’entre elles, qui vont ensuite s’engager dans de multiples causes. Les femmes auquel ce volume rend hommage étaient de diverses appartenances politiques, même si une majorité était proche du Parti libéral, très lié au milieu bourgeois instruit et financièrement à l’aise. Mais Antoinette Quinche, qui joua un rôle important dans le vote accordant les droits politiques aux Vaudoises en 1959, était une radicale convaincue. La pacifiste Hélène Monastier, elle, qui combattit pour la création du service civil, fut la présidente des Socialistes chrétiens. Et c’est Charlotte Muret-Haët, communiste de longue date puis active dans le POP, qui ouvrit en 1955 à Lausanne le Congrès mondial des mères (1060 participantes!) On voit donc que l’engagement féminin/féministe transcende les clivages politiques.

Mais des femmes s’illustrèrent aussi dans le domaine scientifique et firent parfois même – certes non sans difficultés dues au fameux «plafond de verre» – des carrières universitaires. Au 18e siècle déjà, Elisabeth Vicat de Curtas fut une apicultrice et observa de manière scientifique expérimentale la vie des abeilles. Elle fut récompensée pour cela par la Société économique de Berne. Quant à Rosalie Constant de Rebecque, elle consacra sa vie à un extraordinaire herbier fait de 1245 aquarelles, accompagnées de notes descriptives de chaque végétal. Plus proche de nous, Erna Hamburger fut la première femme à être, en 1968, nommée professeur ordinaire au Département de l’électricité de l’EPFL.

Certaines femmes montrèrent de remarquables qualités d’organisatrices, qui leur étaient souvent déniées, telle Mary Widmer-Curtat qui, pendant la Première Guerre mondiale, fut la «générale en chef» d’une œuvre de secours pour les réfugiés belges et réussit en quelques semaines à mettre à disposition 3000 places d’accueil!

Quant au domaine littéraire, de nombreuses femmes s’y sont illustrées, de la romancière à succès au 18e siècle Isabelle de Montolieu à Alice Rivaz ou Anne Cuneo. Sans oublier les femmes actives dans le monde de la musique, de la peinture (dont la plus importante fut Alice Bailly), du journalisme ou du sport.

Des femmes souvent issues des rangs de l’aristocratie et de la bourgeoisie

Rares il est vrai sont dans ce florilège les femmes d’origine modeste. On peut citer le nom de Jenny Enning, sommelière, boulangère et qui, sa famille ayant fait fortune, légua à sa mort en 1880 à la Ville une somme importante destinée à la construction d’écoles publiques. Elle est l’une des rares à avoir été honorée d’un nom de rue à Lausanne. Mais la Municipalité s’est engagée à donner à davantage de femmes cette visibilité publique. Avec raison, le livre accorde une place aux «anonymes, invisibles et oubliées». Ce sont toutes ces femmes qui – vendeuses de magasin, postières, ouvrières d’usine, nettoyeuses dans les hôpitaux ou mères de famille ayant «seulement» élevé leurs enfants – n’ont pas laissé de nom dans l’Histoire mais ont fortement contribué à la bonne marche de la société.

Une petite critique cependant… Cet ouvrage nous paraît un peu trop consensuel et sage. Puisqu’il évoque la figure d’Henriette Favez qui, travesti ou transgenre avant la lettre, devint Enrique pour aller soigner à Cuba où elle/il se maria avec une femme, on aurait pu sans faire scandale dévoiler un peu plus la vie privée de telle ou telle de ces femmes qui afficha ouvertement son homosexualité, une autre manière de transgresser les tabous sociaux. Notons enfin  que cet ouvrage utile et de lecture agréable est joliment illustré, dans un style proche de la BD, par l’artiste lausannoise Hélène Becquelin.

100 femmes qui ont fait Lausanne. Dans les pas des pionnières, Editions Antipodes et Ville de Lausanne, 2021, 158 p.