Lettre ouverte à Pierre Maudet

La chronique féministe • Il y eut une époque où je vous estimais. J’étais fascinée par votre intelligence et je trouvais que vous résolviez bien certains dossiers, comme l’opération «Papyrus», en 2015, qui a normalisé des centaines de sans-papiers à Genève.

Je suis soulagée que vous n’ayez pas été élu au Conseil d’État, dimanche 28 mars, et contente du succès de la Verte Fabienne Fischer. Mais tout le monde s’accorde à dire que, sans parti, vous avez fait une campagne impressionnante. Naturellement, vous aviez du temps, puisque vous n’aviez plus de responsabilité politique. Vous avez tenu une permanence, beaucoup promis à beaucoup de monde, y compris à des jeunes.

Il n’y avait pas un jour sans lettres de lecteur dans La Tribune de Genève, la grande majorité positives, vantant jusqu’à plus soif vos éminentes qualités de «surdoué», «rompu au commandement» (vous êtes capitaine à l’armée), «planificateur hors du commun», etc. Vous seriez «le seul capable de nous guider vers une sortie de cette crise économique» (merci pour les autres conseillers d’État!)

Ces panégyriques oublient de mentionner votre ego démesuré, qui vous conduit à vous croire au-dessus des lois, vos difficultés avec le personnel, la succession de vos mensonges, depuis vos réponses incohérentes concernant le voyage à Abu Dhabi de novembre 2015, votre entêtement à vous accrocher au pouvoir, envers et contre tout et tous, obtenant au passage une rente à vie de magistrat, vos tricheries (vous faites payer vos cotisations au PLR par une vague association, puis avez l’outrecuidance de les déduire de vos impôts, ce qui revient à voler les citoyen.ne.s, de 40’000 fr. en tout).

Il y eut une époque où je vous estimais. J’étais fascinée par votre intelligence et je trouvais que vous résolviez bien certains dossiers, comme l’opération «Papyrus», en 2015, qui a normalisé des centaines de sans-papiers à Genève. Je vous envoyais de temps en temps des courriels, auxquels vous répondez toujours, à mettre à votre crédit. Les choses se sont gâtées avec vos pataugeages concernant votre voyage à Abu Dhabi, dès fin mai 2016, lors des premières questions de journalistes, puis le 11 mai 2018 dans la Tribune de Genève, le 14 mai devant la commission de contrôle de gestion du Grand Conseil. On sentait bien, dans vos réponses, que vous étiez mal à l’aise. Vous veniez d’être magnifiquement réélu au Conseil d’État, le 15 avril, dès le premier tour, et, dans la foulée, étiez devenu le président du Conseil d’État pour la durée de la législature, selon la nouvelle Constitution. Peut-être ce succès vous est-il monté à la tête.

Je vous ai écrit pour vous conseiller de ne pas faire comme Fillon, lors de la campagne présidentielle de 2017, qui s’enferrait de réponses floues en explications fumeuses sur les emplois fictifs de sa femme Penelope, puis de ses enfants, sur les costumes reçus, etc. Je vous conjurais de dire la vérité, même si elle n’était pas agréable et même si votre orgueil allait en prendre un coup. Vous m’avez alors répondu: «Vous avez raison, je vais dire la vérité», ce que vous avez répété à vos collègues de l’exécutif, au Grand Conseil, aux médias, aux citoyen.ne.s.

Or, au lieu de révéler enfin ce qui s’était passé, vous avez monté un mensonge qui impliquait deux autres personnes. C’est à ce moment-là que vous avez perdu toute crédibilité. D’ailleurs, comment un homme aussi intelligent que vous a pu imaginer que ce mensonge passerait? Il est vrai que le pouvoir rend fou, ou du moins déconnecté des réalités. Après, il y eut vos aveux, où vous atténuiez votre faute «Je n’ai pas dit toute la vérité», il était visiblement trop difficile de reconnaître «j’ai menti». C’est d’ailleurs votre tactique, de tout minimiser, comme après votre condamnation.

À cause de cette affaire, dont vous êtes seul responsable, vous avez perdu la présidence, la gestion des départements de la sécurité et de l’économie, il ne vous restait qu’un minidépartement, celui du développement économique, d’une vingtaine de personnes. Mais à la suite d’un rapport intermédiaire «alarmant» sur la souffrance de certains collaborateurs-trices, en octobre 2020, vous en perdez la gestion. Après vous avoir vainement demandé, en novembre 2018, de quitter le PLR, votre parti, à qui vous devez tout, son comité directeur vous en exclut le 6 juillet 2020. Mais rien n’y fait, vous vous cramponnez à ce qui vous reste de pouvoir.

Le 29 octobre 2020, vous annoncez votre démission sur Léman Bleu. Enfin! me dis-je… mais je déchante vite: dans la foulée, vous vous déclarez candidat à votre propre succession! Le 22 février 2021, le Tribunal de police vous condamne pour acceptation d’un avantage en lien avec votre voyage à Abu Dhabi. Vous annoncez un recours. Comme Trump, vous ne reconnaissez jamais votre défaite.

Vous faites une campagne incisive, aidée par les nombreuses lettres de lecteur dont vos fans irréductibles submergent la Tribune de Genève. Cela finit par devenir grotesque. Je me suis demandé si vous les payiez, en tout cas, vous deviez les solliciter. Le premier tour du 7 mars vous place 2e, devant le candidat officiel de votre ex-parti. J’imagine votre jubilation. Cyril Aellen se retire, le PLR n’a pas de plan B, Nidegger reste dans la course, Delphine Bachmann se lance pour le PDC. Le 28 mars, vous arrivez à nouveau 2e, derrière Fabienne Fischer, avec 9000 voix de différence. Vous avertissez que vous ne renoncez pas, que vous resterez en politique. J’ai eu peur que votre obstination réussisse et que vous réintégriez le CE. «On recommence à zéro», disiez-vous. Mais non, Monsieur Maudet, vous traînez derrière vous trois ans de coups tordus, de magouilles, de trahisons, de mensonges, de dénis, d’orgueil mal placé. Je vous ai comparé à Trump, même si vous êtes moins gravement atteint (on est en Suisse!).

Avec tout ça, je ne comprends pas que vous obteniez encore 33% des voix, comme je ne comprends pas que Trump ait 74 millions de soutiens. Serait-ce dû à votre capacité commune de galvaniser un noyau d’inconditionnels, qui finissent par vous considérer comme un dieu? D’agir comme un irrésistible charmeur de serpents? Même Pascal Decaillet est tombé sous le charme, au mépris de la neutralité journalistique.

Si vous vous présentez en 2023, vous continuerez à polluer l’air de Genève. Qui aimerait tant retrouver la paix. Si par malheur, vous étiez élu, vous seriez, tel Bachar el-Assad en Syrie, toujours présent, mais sur un champ de ruines…

Il n’y a pas que la politique, dans la vie, vous devriez retourner à vos chères études. Et qui sait, peut-être qu’avec vos «qualités exceptionnelles», vous deviendriez un DupondMoretti du barreau genevois et retrouveriez une autre forme de notoriété, positive, cellelà…