Violence sociale et jeunesse en bandes

France • Pour le sociologue Thomas Sauvadet, le phénomène des bandes touche un jeune de moins de 30 ans sur dix dans les quartiers dits «politique de la ville». Il constate même un vieillissement de ces groupes dont les réseaux sociaux servent d’outils de résonance. Au cœur d’une société minée par la précarité et le chômage, les gangs criminels prolifèrent.

«Nous sommes face à un problème structurel. Il est lié à l’évolution de la société capitaliste», estime Thomas Sauvadet. (Gasdub)

Le 24 janvier, un jeune adolescent (Yuriy) était violemment agressé dans le quinzième arrondissement de Paris par une bande. Un mois plus tard, des rixes entre jeunes en Essonne, un département de la banlieue sud de la capitale, faisaient deux morts en deux jours, un adolescent et une collégienne de 14 ans. Episode suivi d’un autre décès à Bondy (Seine-Saint-Denis) le 26 février. Cette série de faits divers sanglants, à laquelle il faudrait ajouter différents morts par balles d’armes lourdes en octobre 2020 dans la région marseillaise, indique-t-elle une augmentation de la violence des jeunes en France? Sociologue-chercheur à l’Université Paris-Est Créteil et auteur de Capital guerrier: Solidarité et concurrence entre jeunes de cité (et d’un roman: Pirate du bitume), Thomas Sauvadet donne son éclairage.

Plusieurs événements sanglants impliquant des jeunes ont marqué l’actualité. La violence juvénile connait-elle une recrudescence?

Thomas Sauvadet Cette violence est liée à une évolution sur quarante ans. Dans les années 80, le marché du travail et celui du logement sont devenus défavorables aux classes populaires. En même temps est apparu un marché des stupéfiants, d’abord l’héroïne puis le cannabis. Il a créé les conditions d’un trafic professionnalisé à partir des années 90. Dans les quartiers pauvres, des bandes de jeunes se sont identifiées aux gangs juvéniles des ghettos américains, notamment à partir de la deuxième moitié des années 90, avec le succès du gangsta rap. Les bandes ont développé leur influence culturelle, avec la culture gangsta, et leur pouvoir économique, avec le trafic de cannabis. Jusqu’à devenir des organisations sociales incontournables dans certains quartiers pauvres des métropoles.

Quelle peut être la réponse des pouvoirs publics face à ces problèmes?

Ces problèmes reflètent aussi un dérèglement de la société française, où tous les voyants sont au rouge, en milieu urbain comme rural, ou dans le périurbain comme l’a amplement montré le mouvement des Gilets jaunes. Voilà pourquoi le pouvoir noie le poisson. Des propositions, comme la mise en place de Zones d’éducation prioritaire ou de police de proximité, solutions pas négatives en elles-mêmes, ont peu d’impact face aux causes économiques et culturelles globales qui détruisent notre société.

Nous sommes face à un problème structurel. Il est lié à l’évolution de la société capitaliste. Celle-ci a désindustrialisé le pays tout en glorifiant l’intérêt personnel, a créé du chômage et de la précarité tout en vantant une consommation ostentatoire et effrénée. Tout cela entraîne des comportements antisociaux, marqués par un individualisme exacerbé ou le développement d’organisations sociales claniques qui se comportent en prédateurs, que cela soit dans les hautes sphères ou les bas-fonds.

La gauche a-t-elle aussi failli dans sa politique?

Il y a le tournant de 1983 conduit par le président socialiste François Mitterrand. Il abandonna une politique favorable à la demande au profit d’une politique favorable à l’offre, c’est-à-dire au patronat. Il a ainsi tué la gauche de gouvernement. Dans sa folle course en avant, le parti socialiste a emmené le parti communiste jusqu’au fond du trou. L’acceptation d’un capitalisme sans frontières, la désindustrialisation qui s’ensuit forcément, ont détruit la société. Nous en sommes toujours là aujourd’hui.

Vos propositions pour lutter contre cette violence de jeunes?

Il faut neutraliser les organisations délinquantes voire criminelles du trafic de stupéfiants. Et libérer les quartiers populaires de ces organisations cancéreuses à tendance mafieuse. Il existe dans ces quartiers une cinquantaine de jeunes et une demi-douzaine de familles à juguler. Pour ensuite faire un véritable travail d’éducation populaire, et aussi de prévention. A cet effet, la police et la justice doivent protéger victimes et témoins. Ceci afin de récolter de l’information, et faire tomber ces réseaux. Ensuite espérons que les citoyens réinvestissent l’espace public, le débat et l’action politiques. Pour s’attaquer à la mafia qui nous dirige, pas les voyous des bas-fonds, mais ceux des hautes sphères. Une transformation profonde de la société est nécessaire pour que les bandes peinent à recruter. Ce n’est pas simple.

La dépénalisation du cannabis pourrait-elle être une réponse pour restreindre le trafic?

La France est le pays d’Europe où la consommation est la plus élevée du continent. Face à cette situation, il est possible de réduire la demande. Comment? En favorisant les politiques de prévention et de santé publique. Restreindre l’offre aussi, en s’attaquant aux réseaux de trafic. La dépénalisation de l’usage du cannabis serait un coup dur pour les bandes et ces réseaux de trafic. Mais, si rien d’autre ne change, ces bandes et réseaux développeront d’autres trafics, comme la cocaïne ou les armes. Elles continueront de pourrir la vie des classes populaires prises en étau entre la violence des voyous du bas et celle des voyous d’en haut.