Développement durable et résilient

Neuchâtel • Dans le cadre de l’élection au Conseil d’État du 18 avril prochain, 21 personnes se présentent pour cinq places. En lice pour le POP, Julien Gressot, Sarah Blum, Léa Eichenberger et Cédric Dupraz livrent leurs convictions et priorités au coeur de la pire crise de l’histoire suisse. Entretiens croisés.

De gauche à droite: Julien Gressot, Sarah Blum, Léa Eichenberger et Cédric Dupraz, les popistes en lice pour l’exécutif neuchâtelois. (DR)

Depuis deux législatures, le gouvernement cantonal comprend trois élus socialistes. Pour le groupe parlementaire socialiste, le bilan de la législature est positif, marqué par «un État consolidé et une confiance retrouvée». Votre bilan de cette période?

Cédric Dupraz  Le bilan est simple: Le canton de Neuchâtel a connu un démantèlement social sans précédent. A titre d’exemple, on pourrait citer les attaques contre l’aide sociale, alors qu’elle est l’une des plus basses de Suisse. Des mesures de réduction des forfaits ont été entérinées en 2018 pour les jeunes adultes jusqu’à 35 ans. Le gouvernement a aussi supprimé les aides de ménage pour les rentiers AVS/AI. Mais il a finalement été contraint de revoir sa politique en matière de subsides d’assurance-maladie, qui étaient en dessous des normes fédérales. Nous avons aussi gagné contre le Conseil d’État, qui voulait une centralisation dans le cadre de sa réforme hospitalière, le peuple nous ayant suivi, en approuvant le maintien de deux sites de soins aigus dans le canton à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds. La crise Covid a montré la justesse de notre position.

Julien Gressot Cette législature a aussi été marquée par un manque de projets politiques d’avenir. Le plan climat du gouvernement de zéro émission nette en 2050 s’avère ainsi peu ambitieux, restant essentiellement incitatif et peu contraignant. Un autre problème réside dans le fait qu’il autorise des compensations extraterritoriales permettant de polluer ailleurs. Il faut aussi relever la lenteur du gouvernement à traiter les initiatives déposées. Il n’a ainsi pas encore fait passer devant le peuple notre initiative pour la création d’une assurance dentaire déposée en 2015, ni notre initiative cantonale sur la taxation des plus riches ou celle sur des transports gratuits. Il suit son calendrier. Il est indispensable que les initiatives soient automatiquement soumises au peuple dans le respect des délais légaux.

Quelle politique socio-économique préconisez-vous dans un canton surtout connu pour son horlogerie et sa microtechnique?

Julien Gressot Il faut développer un modèle plus durable et résilient, en diversifiant le tissu économique, car un secteur comme l’horlogerie est très cyclique. Il faut utiliser les compétences locales de personnes qui sont bien formées ici pour des raisons aussi bien fiscales qu’écologiques et de réduction des déplacements.

Cédric Dupraz Même si le secteur du luxe et de l’hyper-luxe peut être touché, il est encore trop tôt pour dire ce qui passera pour notre tissu industriel à l’issue de la période de pandémie. Tout dépendra de la reprise ou non. Face à cette situation, nous voulons privilégier une politique de relance par des investissements, notamment dans la recherche ou les nouvelles technologies, mais aussi dans la formation ou l’aide à la personne. Pour financer ce programme, des taxes sur les robots ne doivent plus être tabou. Il serait aussi important de créer un fonds, qui ristournerait les entreprises engageant des chômeurs. En matière sociale, nous voudrions aussi instaurer un impôt à la source. Sur une base volontaire, pour faciliter le désendettement des personnes endettées.

Lea Eichenberger Pour financer, il faudrait que le gouvernement fasse pression pour exiger une plus grande partie des bénéfices de la BNS, qui se sont montés à 23 milliards en 2020. Il est important que l’État soutienne maintenant les personnes, qui du fait de la crise, sont proches de la précarité. Dans le cas contraire, elles tomberont dans le social, ce qui coûtera finalement plus cher en termes de réinsertion ou de relance d’emplois. J’ajouterai aussi que si la mise en place d’un salaire minimum a été l’un des points positifs de la législature, il faut augmenter le nombre d’inspecteurs en charge de son application, alors qu’aujourd’hui les contrôles sont dépendants de dénonciations. Je suis aussi pour renforcer l’égalité salariale entre hommes et femmes. Il n’est pas normal que la Loi sur l’égalité remaniée ne propose que de contrôler les entreprises de plus de cent employés. Quant au projet de réforme de l’AVS21, qui prévoit une augmentation de l’âge de la retraite des femmes, je suis contre et voterai en sa défaveur.

Sarah Blum On constate aussi que dans les Montagnes neuchâteloises, près de 25% des jeunes jusqu’à 25 ans n’obtiennent aucune certification à l’issue de leur cursus. Il faut donc prolonger la formation obligatoire jusqu’à 18 ans comme cela se fait dans le canton de Genève, tout en admettant différentes sortes de formation comme des stages en entreprise ou des séjours linguistiques. Il faudrait même aller plus loin et que l’État puisse aider tout jeune à avoir une première expérience professionnelle. Economiquement, cette mesure, qui évite que le jeune se retrouve tributaire de l’aide sociale, a aussi son sens. Dans la même optique, il nous apparaît important de protéger les apprenti.e.s, en renforçant le contrôle de leurs droits et des salaires par un plus grand nombre d’inspecteurs. Une récente enquête d’Unia montrait que 30% d’entre eux avaient subi du mobbing pendant leur formation.

Les socialistes viennent de lancer une initiative pour favoriser une parité entre hommes et femmes sur les listes électorales. Votre avis?

Sarah Blum  Le POP avait présenté plusieurs projets favorisant l’égalité et la parité entre les genres suite à son refus d’un projet socialiste qui réclamait deux élections pour le Grand Conseil (une pour les femmes et une pour les hommes). Il avait ainsi déposé un projet de loi dans ce sens, avec des quotas de listes, plus ambitieux d’élections en élections et qui tenait compte des personnes non-binaires. Mais ce projet, longuement discuté en commission, avait été refusé par une majorité du Grand Conseil. Avec le lancement de son initiative proche de notre proposition, le PS annonce bien qu’il est en pleine campagne pré-électorale.

Le canton de Neuchâtel perd des habitants. Vos propositions pour y remédier?

Julien Gressot Beaucoup de personnes hors canton viennent travailler sur les sites neuchâtelois. A terme, il faudrait envisager une modification de la fiscalité au niveau fédéral, pour que la taxation des impôts soit répartie entre le lieu de travail et le lieu de résidence.

Neuchâtel doit-il être considéré comme un canton pauvre?

Cédric Dupraz Les statistiques montrent que le PIB cantonal par habitant figure parmi les six premiers de Suisse. Mais cette richesse ne reste pas dans le canton et part vers les sièges sociaux des entreprises dans d’autres cantons. L’autre problème a trait aux disparités de revenu et de fortune. 3% des ménages possèdent 45% de la fortune totale du canton. Face à cette situation, il faut renforcer la progressivité de l’impôt sur les hauts revenus et les grandes fortunes.

Comment faire que le canton s’unifie et évite les tiraillements entre le Haut et le Bas de son territoire?

Julien Gressot Pour nous, cela passe par un rééquilibrage des investissements. Le canton prévoit d’investir 80 millions dans l’Université à Neuchâtel, mais n’envisage presque rien dans le Haut. Est-il normal que le Canton soutienne complètement le Laténium (plus grand musée archéologique de Suisse, ndlr), alors que le Musée international de l’horlogerie (MIH), qui compte de fabuleuses collections, ne reçoit que des miettes? Sans ce partage des ressources, il sera difficile d’unifier le canton.

Sarah Blum Un programme comme Vitamine, qui prévoit le transfert d’une centaine d’employés de la fonction publique dans le Haut du canton va dans le bon sens, mais il faudrait faire plus, comme équilibrer les investissements dans l’ensemble du canton.

Lea Eichenberger A titre d’exemple, le canton de Neuchâtel reçoit 23 millions de la Confédération, au nom des compensations géotopographiques pour l’aide aux communes d’altitude, au-dessus de 800 mètres. Or, Neuchâtel n’en redistribue que 7% aux communes concernées contre 100% dans le canton de Berne. Voilà pourquoi, nous avons été obligés de lancer une initiative pour une juste répartition de la péréquation entre les communes en 2020.

Faut-il s’attendre à une vague verte? Qu’en sera-t-il du groupe POPVertsSol au Grand Conseil à l’avenir?

Sarah Blum Le groupe fonctionne bien et est complémentaire sur de nombreux sujets. Si les Verts peuvent apporter leurs compétences sur des questions énergétiques, le POP défend son expertise en matière sociale, de formation ou d’écologie sociale, en défendant des propositions écologiques, qui ne soient pas antisociales. Nous sommes ainsi en faveur de quotas de carbone par personne plutôt que de taxes uniques, qui frappent uniformément riches et pauvres. Quant à savoir si les Verts voudront former un groupe indépendant, tout dépendra de leurs résultats. Nous aviserons au moment voulu.

Cette élection se fait dans le cadre d’une nouvelle loi électorale, avec notamment l’instauration d’une seule circonscription au niveau du canton. A quoi vous attendez-vous?

Cédric Dupraz  Excluant les membres de l’exécutif comme moi-même de siéger au Grand Conseil, la fusion des districts en une circonscription unique va réduire la politique de proximité et favoriser les candidat.e.s et les professions, qui ont un rayonnement cantonal comme les avocats ou les professeurs. Bref, cette année encore, plus de 2 électeurs sur 3 n’iront pas voter! Nous avons et aurons un potentiel de développement énorme!

Julien Gressot Le principe d’une représentation minimum garantie pour certaines régions est bien au-dessous de celui que proposaient les districts. Ce qui fait que certaines localités comme Val-de Travers seront pénalisées, d’autant plus que le nombre de députés passe de 115 à 100.