Rapport RTS, la montagne accouche d’une souris

La chronique féministe • Cela m’avait déjà frappée avant les révélations sur la RTS, l’organigramme des cadres est essentiellement constitué d’hommes.

Le rapport provisoire sur les dysfonctionnements de la RTS a été rendu vendredi 16 avril, le rapport final est attendu courant juin 2021 (plus de 180 procès-verbaux n’ont pu être pris en compte par les enquêteurs). Les cas de harcèlement commis par deux collaborateurs ont été confirmés. Le cadre nommé «Georges», notamment membre de l’Actualité TV, qui mobbait ses collaborateurs.trices, reçoit une sanction. (Pour une raison qui m’échappe, c’est le seul responsable dont le nom n’est pas mentionné.) Bernard Rappaz, rédacteur en chef de l’Actualité TV, quitte la RTS. Steve Bonvin, responsable des RH de la RTS, quitte son poste. En revanche, le Conseil d’administration de la SSR affirme sa pleine confiance envers le directeur général de la SSR, Gilles Marchand et le directeur de la RTS, Pascal Crittin. Aucune faute grave n’a été relevée de leur part. Jean-Michel Cina, président du CA de la SSR, présente les excuses du conseil d’administration et exprime ses profonds regrets. «Le harcèlement sexuel n’a pas sa place au sein de la SSR, et nous avons une tolérance zéro à ce sujet.»

Gilles Marchand met en avant des mesures fortes prises par l’entreprise:
– La création d’un poste de personne de confiance interne à disposition des collaborateurs et des collaboratrices.
– Une formation obligatoire au sujet du harcèlement sexuel pour tous les cadres.
– La mise en place d’un monitoring auprès des collaborateurs.trices pour suivre l’évolution de la perception sur les questions de confiance et de sécurité au travail.

La représentation de la diversité va être surveillée, non seulement dans les équipes mais aussi dans les programmes. Une charte antisexiste sera aussi mise en place avec des mesures contraignantes.
La cheffe du Département fédéral de la communication (DETEC), Simonetta Sommaruga, juge «inacceptables» les cas de harcèlement subis par des membres du personnel. Elle attend que tout soit mis en oeuvre pour prévenir de nouveaux cas de sexisme, de harcèlement et de discrimination. Elle a suivi le dossier de près dès le début et sera régulièrement tenue informée de la mise en oeuvre des mesures.

Cela m’avait déjà frappée avant les révélations sur la RTS, l’organigramme des cadres est essentiellement constitué d’hommes. Une fois de plus, on se trouve dans un système masculin voire machiste (le glissement est fréquent dans ce genre de structure), où les femmes ont de la peine à trouver leur place. Les propos sexistes, misogynes, déplacés que se permettaient un certain nombre de cadres et collaborateurs avaient été placardés à l’entrée de la tour du quai Ansermet, après les révélations du Temps, fin octobre 2020. Ils faisaient froid dans le dos. Subir ça à longueur de journée… Je me demandais comment les victimes tenaient le coup…

Si le rapport reconnaît un certain nombre de problèmes, dont semblent aujourd’hui conscients les membres de la direction, la méthode pour y faire face paraît dérisoire. Les cadres qui n’ont rien vu ni rien entendu sont chargés de mettre en place des mesures. Pourquoi ne pas avoir engagé une femme spécialiste des questions de harcèlement? Cela donne l’impression que rien ne change, qu’on reste entre soi, entre mecs. Comme si de rien n’était.
Ce qui m’a le plus choquée, c’est que Darius Rochebin ait été blanchi. Mais qu’a fait la commission d’enquête des dizaines de témoignages à charge pour comportements inadéquats? Et de ses deux adresses courriel? Pour elle, c’est du vent? Il ne s’est donc rien passé, Rochebin est blanc comme neige et pourra allègrement reprendre sa plage-horaire sur LCI, avec son sourire en coin. Comme si de rien n’était.

Le Temps maintient cependant l’intégralité de son enquête, soulignant la qualité du travail de ses journalistes. «Il est normal qu’il puisse exister des différences entre ce qui a été révélé dans notre enquête et les résultats de celles menées par la RTS», souligne la rédactrice en chef du Temps, Madeleine von Holzen, dans une prise de position envoyée à Keystone-ATS. Cette dernière indique par ailleurs ne pas vouloir commenter les procédures judiciaires en cours. Pour rappel, Darius Rochebin a déposé une plainte pénale pour diffamation contre le quotidien en novembre 2020. S’il y a un procès, on y verra peut-être plus clair.

En 2019 paraissait une enquête alarmante sur le harcèlement et le sexisme dans les médias, après le scandale de la Ligue du LOL. Une enquête de l’Express et l’AFP menée en ligne auprès de 1800 journalistes et étudiant.e.s en journalisme par les collectifs «NousToutes», «Prenons la Une» et «Paye Ton Journal» est explicite. Elle recense des cas dans plus de 200 rédactions. Sur les 1837 réponses, dont 271 émanant des écoles de journalisme, 1500 personnes déclarent avoir été victimes ou témoins d’au moins un agissement sexiste dans le cadre de leur travail. Parmi elles, 199 personnes ont témoigné d’agressions sexuelles subies, dont 188 femmes, et de 2 viols ayant eu lieu dans le cadre du travail.

Presque aucun média, y compris L’Express, n’est épargné. Parmi les principaux enseignements de cette enquête, il apparaît que les violences sont « plus fréquentes à la télévision que dans les autres médias» et «plus fortes vis-à-vis des femmes racisées et des hommes homosexuels». Elles commencent «dès l’école de journalisme, les pigistes y sont plus régulièrement exposées et les remontées d’information dans les rédactions ne fonctionnent pas», estiment les organisations qui ont mené cet exercice. «Les rédactions citées dans l’enquête ne disposent d’aucun système efficace de remontée d’information en cas de violences. Dans 83% des cas, les faits de harcèlement sexuel ou d’agression sexuelle ne remontent pas aux RH (Ressources humaines) ou à la direction», notent ces collectifs. Et «lorsqu’elles sont informées, les directions citées ne les traitent pas ou peu. En effet, dans 60% des cas d’agression sexuelle comme dans 70% des cas de harcèlement, les rédactions n’ont pas réagi suite aux signalements».

La RTS s’inscrit donc dans ce continuum de maltraitances. La Grève féministe Vaud a réagi aux conclusions du rapport: «Malgré des centaines de témoignages, la RTS ne semble pas prendre la mesure de ses problèmes internes. Nous attendons plus que des excuses, nous voulons des changements structurels pour protéger les travailleur.euse.x.s du harcèlement physique et moral sur les lieux de travail. Si pour la RTS, le chemin s’arrête là, pour nous, le combat continue!»
Pour nous aussi.